ABIGAËLLE
Dossier médical
A 33, 35 et 36 ans naissance d'un garçon. A 46 ans cancer du sein traité par chimiothérapie, mastectomie et radiothérapie. Recul de 20 ans. Dépistage génétique du cancer du sein négatif, fait dans le cadre d'antécédent familial : jumelle, mère, tante ayant eu un cancer du sein. A 65 ans Thyroïdite d'Hashimoto (maladie auto-immune de la thyroïde).
Sa vie
« Je fais partie d'une fratrie de 4, j'ai une sœur jumelle, nous sommes les dernières, je m'entends très bien avec elle. Mes parents par contre ne s'entendaient pas, mon père était coureur, noceur, il y avait beaucoup de femmes, il faisait la java. Un jour je l'ai aperçu dans la rue où on habitait au bras d'une autre femme, j'avais 12 ans, j'ai trouvé que c'était odieux de se promener au bras de cette femme dans notre rue. J'ai compris qu'il couchait avec elle, ce fut une vraie blessure. J'ai eu une profonde tristesse, j'ai eu honte, honte de ne pas oser poser des questions, mais chez moi, on ne parlait pas. Je n'ai pas pu en parler. Il était d'une famille riche et il a dilapidé toute sa fortune, il a été contraint au dépôt de bilan. Mon père ne s'occupait pas de nous, il ne savait pas faire avec les enfants. Je n'ai pas le souvenir d'une famille car mon père n'était jamais là. Un jour en rentrant de vacances, sans une explication, nous sommes allés vivre dans une autre maison avec ma mère, mes frères et sœur. J'avais 12 ans, je n'ai plus jamais revu mon père sauf à sa mort. Je pense que ma mère a quitté mon père pour nous protéger, elle a dû se mettre à travailler, car mon père ne donnait aucune pension alimentaire, il n'assumait pas ses responsabilités. J'ai été blessée par la souffrance de ma mère qui est restée digne et ne se plaignait jamais. J'ai dû effacer cette partie de ma vie car elle est trop douloureuse.
J'ai rencontré mon futur mari à 27 ans, nous avons attendu 9 ans avant de nous marier, car mon mari ne voulait pas se marier, il ne voulait pas non plus d'enfant, puis il s'est décidé, nous avons eu nos trois enfants. J'ai su assez vite qu'il y avait un problème avec mon mari et peu à peu la vie est devenue réellement insupportable, mon mari était un pervers narcissique. La violence verbale a commencé, il me rabaissait, se moquait de moi, m'insultait : 'T'es moche, tu n'es rien sans moi, tu ne vaux rien.' Il m'humiliait, il urinait autour de la cuvette pour que je passe la serpillière, s'asseyait sur le lit après la selle sans s'être essuyé pour que je lave les draps. C'était un calvaire, mais j'étais en prison car comme je n'avais pas de travail, pas de moyen de subsistance. Il disait : 'Pauvre cloche, si tu te tires, je garde les enfants puisque tu n'as pas les ressources pour les élever, je t'aurai.' Pour moi il n'était pas question de laisser mes enfants, j'ai tout fait pour arrondir les angles pour sauver la famille, pour mes enfants. Je lui disais : 'Tu pourras peut-être m'abattre, mais debout, je ne me mettrai jamais à genoux devant toi.' Je bravais, j'assurais, personne ne savait, car en public il était charmant. Quand j'ai déclaré mon cancer du sein à 46 ans, j'étais fatiguée, je n'en pouvais plus, il mangeait toute mon énergie, j'ai fait des entorses, des fractures. J'ai pu réussir à partir un peu plus tard, car un jour j'ai vu des éclairs dans ses yeux, j'ai eu peur, je me suis dit : 'Si je reste, je meurs'. Cela a été le déclic pour partir ».
Sa réflexion
« Ma maladie auto-immune aussi a du sens, le sens de la culpabilité. Le plus douloureux de ma vie c'est l'échec de mon mariage, j'ai refait ce que mes parents ont fait et dont je ne voulais pas. Je m'en veux d'avoir été amoureuse de cet homme, de ne pas avoir voulu entendre les petits signes dont j'aurais dû tenir compte, de ne pas avoir analysé mon pressentiment. Je m'en veux d'avoir accepté cette mésentente, ces humiliations, je n'aurais pas dû, je suis allée trop loin dans mon couple, j'aurais dû divorcer avant. Je m'en veux de ne pas avoir pu transmettre une vraie famille à mes enfants, mes trois fils sont toujours célibataires, je pense que c'est à cause de l'exemple de couple qu'ils ont eu.
Je pense que mon cancer du sein a aussi du sens dans ma vie, il est le résultat d'une souffrance tue trop longtemps. Et c'est toute ma souffrance, ma révolte, mon humiliation, ma rancune, mon fiel, la détestation de mon mari que je n'arrivais pas à exprimer, que mon corps a dits. Personne ne savait, personne ne voyait ma souffrance puisqu'à l'extérieur j'assurais et que lui était toujours charmant en public. Je pense que, inconsciemment, mon cancer c'était pour montrer, pour dire cette souffrance que je n'étais pas capable d'exprimer autrement. Je pense que mon cancer m'a donné la force, la force de partir, mon mari me traitait de 'nulle' et bien j'allais montrer au grand jour, aux gens, que j'étais vaillante, que j'allais m'en sortir. J'en avais la volonté, je savais que je m'en sortirais, que je resterais debout. Mon cancer a permis à mon entourage de savoir ma souffrance, de connaître mon mari qui a été inexistant pendant ma maladie. Mon cancer était un stop, c'est lui qui a dit stop, m'a donné la force de partir. »