CHON
Dossier médical
A 20 ans kyste fonctionnel de l'ovaire ayant motivé une cœlioscopie. A 25 et 27 ans naissance d'une fille. A 27 ans plastie vulvaire. A 38 ans chirurgie d'une hernie discale L4-L5. A 49 ans chirurgie d'un cancer de la paupière.
Sa vie
« Je suis l'aînée de deux filles. J'ai eu une enfance bien, même si mes parents qui étaient commerçants étaient peu disponibles. Malgré cela j'ai été très complice avec mon père ; avec ma mère c'était beaucoup plus difficile, il n'y a jamais eu aucune complicité. Elle ne m'a jamais donné de tendresse, il y a eu de l'amour, je n'en doute pas maintenant, mais j'en doutais quand j'étais petite. On s'est mal aimées avec ma mère. Elle ne sortait pas de chez elle en dehors du commerce, elle passait son dimanche à faire du ménage, elle était maniaque de propreté. Elle a eu une vie difficile, a été orpheline de père à 9 ans, ensuite veuve de guerre avec un premier mari violent qui ramenait ses maîtresses chez lui.
J'ai eu mon premier rapport sexuel à 19 ans. Il a été consenti mais très vite et très amèrement regretté. Il était beau, j'étais très amoureuse de lui, beaucoup des filles de ma classe aussi. Il s'est intéressé à moi, je lui ai offert ma virginité. Cette nuit-là, il avait invité ses copains qui étaient derrière la cloison, le matin il est parti. Je l'ai vécu comme une trahison, une humiliation par rapport à ce que j'offrais, je l'ai vécu comme un viol, il m'a enlevé une partie de ma vie. Le rapport s'était très bien passé mais ensuite je n'ai plus jamais, de ma vie, eu un rapport avec orgasme, j'ai beaucoup simulé. J'ai perdu la dignité par rapport à mon corps, je l'ai vécu comme une honte. Cette trahison a impacté toute ma vie sexuelle. Je n'en ai jamais parlé à personne, c'est la première fois de ma vie que j'en parle, j'ai 60 ans. Après ce rapport j'ai fait n'importe quoi, j'ai eu beaucoup d'amants, je prenais, je jetais. J'ai commencé à cette période des épisodes de spasmophilie pour lesquels les pompiers sont venus me chercher à 2 reprises, maintenant j'arrive à les gérer. C'est quelques mois après ce rapport que j'ai dû subir une cœlioscopie pour un kyste ovarien fonctionnel.
Puis j'ai rencontré mon mari, nous avons eu nos 2 enfants, mon premier accouchement a été très difficile. Mon mari qui n'était pas prêt pour la paternité a fait une dépression pendant les 2 années suivantes. Pour moi, suite à l'épisiotomie, je ne pouvais plus avoir de rapports, je n'en ai pas eu pendant 2 ans. Après l'intervention de plastie vulvaire le premier rapport a été suivi d'une grossesse et j'ai eu mon second fils. Mon mari et moi étions professeurs, nous sommes partis travailler à l'étranger entre mes 28 et 33 ans. Cela a été une des plus belles périodes de ma vie, j'étais à ma place. Puis notre contrat se terminant, nous sommes partis pour un autre pays où nous sommes restés 5 ans. Je n'y ai pas trouvé ma place, à l'école française où nous travaillions, nous étions considérés comme du petit personnel, nous ne nous sommes pas intégrés, ce fut une grosse déception. Puis au moment de la guerre du Golfe, la situation du pays s'est durcie, nous français avons reçu des crachats physiques et verbaux, il y avait des chars dans les rues, nous nous sentions en insécurité, la situation était tendue. Nous sommes restés enfermés un mois entier. Par ailleurs il y avait un chantage de l'administration française qui menaçait de rompre notre contrat si nous rentrions. C'était une situation très violente pour moi. De plus dans mon couple aussi la tension montait. Mon mari voulait se syndiquer, moi je ne voulais pas, je le lui ai dit. Cette même année, j'ai reçu une carte d'adhérent à un syndicat, un vrai choc pour moi. Mon mari n'avait pas tenu compte de mon avis, c'était nier qui j'étais, comme si je n'avais pas ma place, ce qui a été une période très difficile de ma vie. Quelques mois plus tard j'ai brutalement fait une sciatique, alors que je n'avais jamais eu mal au dos auparavant. Mon mari qui ne supporte pas la maladie est devenu plus distant encore ; mes enfants, c'était comme s'ils n'avaient plus besoin de moi. Je me suis sentie complètement abandonnée. Les douleurs ont augmenté jusqu'au jour où j'ai dû m'aliter car je ne pouvais plus marcher, je suis restée un mois au lit puis j'ai été rapatriée en France. J'ai consulté 2 neurochirurgiens qui ont refusé de m'opérer, le troisième a accepté et j'ai été opérée. Je suis restée en France en convalescence pendant 3 mois, d'abord chez ma sœur, puis chez mes beaux-parents. J'ai été choyée, cocoonée, un vrai moment de bonheur. Je soufflais, je n'avais rien à faire, aucune décision à prendre. Mon mari et mes enfants ne me manquaient pas du tout. Je suis rentrée auprès d'eux, on ne m'a posé aucune question, comme si c'était une parenthèse qui ne les concernait pas. J'ai divorcé 3 ans plus tard. »
Sa réflexion
« Je n'ai plus jamais eu mal au dos après l'intervention et je pense que si la convalescence avait eu lieu avant l'intervention, je n'aurais pas été opérée, j'avais seulement besoin d'une pause, de prendre du recul, j'en suis intimement persuadée. J'ai fait une sciatique, mais cela aurait pu être autre chose. Cette maladie m'a sauvée, elle m'a permis un vrai répit dans ma vie, elle m'a empêchée de mourir. J'étais perdue, dans une profonde solitude. Si mon père avait été de ce monde à ce moment-là, ma vie aurait été différente, j'aurais pu lui lancer un SOS et peut-être éviter la chirurgie. Mais il était mort d'un cancer quand j'avais 34 ans ; c'est, avec mon premier rapport sexuel, l'évènement le plus difficile de ma vie.
J'ai arrêté de travailler à 59 ans et je viens de faire un cancer superficiel de la paupière qui a nécessité une obturation de l'œil pendant plusieurs semaines. Ceci ne me semble pas un hasard non plus car je me dis, depuis que je sens venir ma retraite, que je ne vois pas du tout ce que va être ma vie sans mon métier que j'adore. Par ailleurs je vis mal mon vieillissement depuis ma ménopause et la perte de féminité qui va avec. A la question de votre thèse : Est-ce que notre santé nous parle de notre vie ? Pour moi la réponse est totalement et sans conteste : oui. »