BETHSABÉE
Dossier médical
A 8 ans première cystite, puis d'autres à suivre, une pyélonéphrite. A 18 ans dépression, prise d'antidépresseurs pendant 10 ans. A 22 ans chirurgie d'une hernie de la colonne cervicale, arthrodèse C5-C6. A 23 ans algodystrophie main. A 25 ans, récidive des cervicalgies.
Sa vie
« J'ai été adoptée à l'âge de 3 mois, ma mère me l'a toujours dit, mon père ne m'en a jamais parlé. Mes parents adoptifs sont mes parents. Je suis restée enfant unique, j'ai eu mes parents pour moi et surtout mes grands-parents. Mais en fait je n'ai pas eu de père, je n'ai eu ni amour ni tendresse de sa part, mon père ne m'a pas élevée. J'ai souvenir d'une seule partie de petits chevaux avec lui. Je pensais que mon père qui était alcoolique ne m'aimait pas, il était saoul tous les jours, il me dégoûte, une vraie loque, mon premier souvenir d'alcool, je le situe vers 7 ans. A la maison, tous les jours, il y avait de la violence verbale, des menaces, du manque de respect pour ma mère. Tous les jours je le remettais en place, je servais d'arbitre, ma haine s'est construite sur cela. Il a failli à son rôle de père, de protecteur, de guide. Si ma mère n'avait pas été là on serait sous les ponts.
Je ne connais pas ma génitrice ; à l'adolescence j'ai eu de la colère, mais je pense qu'elle n'a pas pu faire autrement. Je la remercie de ne pas avoir avorté, pour moi cela aurait été la solution si j'avais été dans la même situation. J'aimerais juste savoir si elle est heureuse, si je la voyais je lui dirais merci.
Vers 6 ans j'ai eu une phobie scolaire, quand ma mère partait de l'école après m'y avoir conduite, j'avais un sentiment d'abandon. Je consultais le médecin traitant une fois par semaine pour des douleurs abdominales et des diarrhées. A 8 ans, j'ai subi des attouchements à 2 reprises par mon cousin de 16 ans ; la seconde fois je l'ai giflé de toutes mes forces. En parlant de dates, je viens de faire le lien entre l'abus à 8 ans et mes cystites au même âge, les insomnies et les cauchemars à suivre. Cet évènement a pris 9 /10ème de ma vie d'enfant. J'ai eu un dégoût de mon cousin, un dégoût de moi, un dégoût total et de la haine, de la colère. A 10 ans, j'ai réussi à en parler à ma mère qui m'a dit : 'Ce n'est pas grave, tu ne vas pas en faire toute une histoire, il ne faut pas de problèmes dans la famille, n'en parle pas.' Elle a protégé la famille, pas son enfant, c'est inacceptable ! Pour elle, c'était tabou ; je me suis demandé si elle-même n'avait pas subi la même chose. Tout le monde dans la famille a su qu'il s'était passé quelque chose, d'autant plus que ma cousine avait subi des attouchements du même cousin ; elle est maintenant anorexique et a fait deux tentatives de suicide. Ces évènements de ma vie, les attouchements de mon cousin, la réaction de ma mère quand je l'ai prévenue, la conduite de mon père, m'ont fait grandir trop vite.
A 9 ans un jour, j'ai menacé mon père avec un couteau, car il voulait frapper ma mère, cette image est gravée. A 10 ou 11 ans, je suis tombée sur des cassettes de mon père, des cassettes pornographiques avec des enfants, cela a été le dégoût total et après, en plus du dégoût, il y a eu la peur. A l'adolescence, je voulais le tuer, je rêvais de glisser de la mort-aux-rats dans sa bière, je serais capable de le frapper, de le tuer. Si je n'avais pas peur de me retrouver en prison, je le tuerais. Il a peur de moi car il s'est rendu compte que j'étais capable de le tuer. Dans mon fantasme de tuer mon père, je me suis renseignée sur les plantes, j'ai appris à distiller du muguet. Il y a peu de temps, il a été malade, j'espérais que les médecins disent que c'était fini.
A 17 ans j'ai eu mon premier rapport sexuel, il s'est bien passé ; mais les rapports ne sont pas satisfaisants, je n'ai jamais eu d'orgasme pendant les rapports, seulement toute seule. A 18 ans j'ai fait une dépression, un mal-être total. Je me suis fait tatouer dans le dos un soleil noir, l'œil de Dieu, une balance entre la haine, l'amour, le mal, l'inquisition, la saint Barthélémy, puis 6 mois plus tard une croix gothique macabre. A 19 ans je me suis fait tatouer l'image du poison : la belladone. A 20 ans une couronne d'épines. A 21 ans j'ai fait faire un tatouage du décolleté : une tête de hibou, une tête de mort, cela a été douloureux, mais la douleur me permet de me sentir vivante.
A 19 ans, j'ai fait de la musculation, c'était une cuirasse contre la haine. Puis j'ai fait du catch, j'ai voulu devenir professionnelle, je voulais montrer que j'étais plus forte que les hommes, comme pour régler leur compte à mon père, à mon cousin. J'étais prête pour cela à y laisser une partie de mon intégrité, de mon corps. A 21 ans, lors d'un entraînement, j'ai fait une mauvaise chute, j'ai eu des douleurs cervicales. J'ai continué le catch, les douleurs se sont aggravées et sont apparues des paresthésies des membres supérieurs. J'ai dû être opérée d'une hernie cervicale l'année de mes 22 ans. Ma hernie je ne la regrette pas, même si après mon intervention sur le cou j'ai dû arrêter le catch. Depuis j'ai moins mal aux cervicales, mais sont apparues des douleurs dorsales et lombaires. J'ai pour cela une séance de kiné par semaine depuis 6 ans.
A 25 ans, mon grand-père est mort, il est la personne que je respecte le plus. En novembre de la même année, j'ai subi la morsure d'un écureuil sur la main qui a fait l'objet d'une chirurgie sur un tendon. En décembre commençait l'algodystrophie qui est toujours très douloureuse, qui me réveille la nuit.
A 26 ans, j'ai eu un coup de foudre pour une femme, je suis sortie avec elle pendant 4 mois et elle s'est suicidée, je me suis sentie trahie, abandonnée.
J'ai longtemps fréquenté les lieux sado-maso où j'étais en position de dominante. Je suis toujours armée, j'ai un couteau, un poing américain, à cause de la haine, à cause de la peur d'être une victime comme pour les attouchements. Je me suis jurée que je ne serai jamais plus une victime. Pour moi on est victime ou prédateur, je veux être prédateur de prédateur. J'aurais adoré être une femme guerrière, une walkyrie pour me défendre contre les hommes et défendre les autres femmes. Je méprise les hommes, le mépris c'est une drogue assez puissante. Plusieurs fois, j'ai arrêté des bagarres contre des femmes, jamais entre des hommes. Mon cousin qui m'a fait les attouchements a eu récemment un enfant, je l'ai prévenu : 'Si tu touches à ton enfant, je te tue.'
Je ne veux pas d'enfant, j'ai une sorte de phobie d'enfant, des femmes enceintes, de l'accouchement. Un enfant c'est une horreur. Je ne trouve pas cela normal d'avoir un tel dégoût pour les enfants. Je pense que je n'ai pas assez de maturité pour protéger un enfant et si je n'arrivais pas à le protéger je ne voudrais pas que mon enfant connaisse ce que j'ai connu. »
Sa réflexion
« Ma haine s'est cristallisée dans mon corps, ma hernie a cristallisé ma haine. J'ai été trahie par ma famille alors que pour moi, c'est ce qu'il y a de plus important. L'évènement le plus difficile ce sont les attouchements de mon cousin et le suicide de mon amie qui avait 23 ans. Les sentiments les plus difficiles sont la haine contre mon cousin et contre mon père, une haine à 8/10. J'ai vu des psychiatres depuis l'âge de 4 ans, ils m'ont beaucoup aidée, mais j'avais l'impression de ne plus avancer. Pour le décès de ma copine, le psychiatre m'a dit :'On ne va pas en faire toute une histoire.' Par contre à 28 ans, j'ai fait des séances d'hypnose ; en 3 séances il y a eu un déclic pour le décès de ma copine, et avec quelques séances supplémentaires il y a eu un autre déclic pour l'histoire avec mon cousin. En 10 séances d'hypnose j'ai connu la rédemption totale, un vrai bonheur, j'ai retrouvé de la confiance en moi, de l'estime de moi, j'ai arrêté les antidépresseurs. J'ai pu excuser un peu mon père en comprenant qu'il avait eu une enfance très difficile et pardonner à moitié à ma mère. Ma haine n'est plus qu'à 3/10 même s'il y a des montées fulgurantes.
Merci à vous pour cet entretien pendant lequel il y a beaucoup de choses dont j'ai pris conscience, notamment j'ai pu donner du sens à ma souffrance. Il m'a permis de comprendre mieux mon parcours, de comprendre que ma hernie a du sens dans ma vie : elle m'a empêchée de me retrouver tuée ou en prison, m'a empêchée de m'affilier aux Hell's Angels. J'ai compris la limite de la toute-puissance que je cherchais dans le catch. »