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NOËLLINE

Dossier médical

IVG à 28 ans. Diagnostic de fibromyalgie à 29 ans. Diagnostic d'endométriose à 31 ans.

Sa Vie

« Je suis la dernière d'une fratrie de 3. J'ai un demi-frère de 9 ans mon aîné par ma mère et une sœur de 5 ans mon aînée. Je n'étais pas attendue, je suis arrivée comme un cheveu sur la soupe, même si ma mère était contente d'être enceinte. Quand ma mère a su sa grossesse, mon père fricotait avec la jeune sœur de ma mère, elle les a trouvés en train de se faire un câlin. Il s'intéressait à sa petite sœur ! Ma mère s'est sentie délaissée, abandonnée. Elle a malgré tout décidé de rester avec mon père. Déjà mon demi-frère ne voyait plus son père que ma mère avait quitté pour cause de violence.  Elle a vécu une grossesse d'angoisse, elle a fumé 30 cigarettes par jour toute la grossesse et s'est beaucoup culpabilisée. Elle m'a dit que bébé j'étais toujours au sein, dès que je le quittais, je pleurais, j'avais besoin de sécurité. Je n'ai pas de souvenir de ma petite enfance, sauf celui de l'examen qui m'a été fait, vers 5 ans, pour mes cystites et qui m'a fortement traumatisée. Je revois le médecin avec sa sonde 'énorme', je ressens la douleur, la gêne d'être nue. Pendant cette enfance je me souviens aussi que ma mère et ma sœur m'ont trop surprotégée, ce qui m'a fait du mal, je n'ai appris qu'à 25 ans la difficulté de ma mère pendant qu'elle m'attendait. Ma mère m'a dit que peut-être mes problèmes étaient dus à son angoisse, son sentiment d'abandon pendant toute sa grossesse, sa culpabilité de fumer 30 cigarettes par jour. Ma mère est une femme forte qui souffre, qui traîne sa charge et qui la trainera toute sa vie. Enfant, elle a été abandonnée par sa mère qui est partie en pleine nuit avec sa petite sœur. Son père a fait ce qu'il a pu mais ma mère a été livrée à elle-même. Ma mère a perdu sa sœur décédée à 45 ans de drogue et d'alcool. Elle a eu mon demi-frère à 18 ans avec un homme alcoolique qui rentrait bourré, la battait et lui a tiré dessus avec une carabine. Elle a dû porter plainte pour que le père perde ses droits sur son fils.

Mes parents se sont séparés quand j'avais 9 ans, je me suis sentie bête et exclue car je n'avais rien vu venir contrairement à mon frère et ma sœur. On nous a demandé avec qui on voulait aller, mon frère qui avait 18 ans a quitté la maison, ma sœur est allée avec notre père, moi je suis restée avec ma mère. Je l'ai fait pour elle car j'aurais voulu aller avec mon père. Ma mère s'est remise très rapidement avec un autre homme qui était alcoolique et qui l'a parfois battue. Il ne m'a jamais aimée, il disait que je ne valais rien, pas plus qu'un chien et il me montrait tous les jours que je ne valais rien (pleurs). Il était gentil avec mon frère, ma sœur quand ils venaient. Moi je subissais sa violence verbale, il m'a dit clairement que j'étais un boulet. Ma mère ne voyait rien, elle était en dépression. Je me suis sentie abandonnée, trahie. Je suis en colère d'avoir été tellement protégée et ensuite jetée, trahie. Vers mes 20 ans, je n'ai plus parlé à ma mère pendant 2 ans. Je pense avoir eu la tentative d'amour de ma mère, pas sa tendresse, ou alors seulement quand j'étais malade. Ils ont divorcé à mes 21 ans. Ma mère a retrouvé un autre homme qui a été violent verbalement avec moi, il m'a dit que les maladies de ma mère qui a une fibromyalgie et un cancer du sein étaient de ma faute. L'amour de mon père ? Je ne sais pas, il y a eu un grand moment d'absence. Vers mes 22 ans j'ai souhaité venir chez eux. Ma belle-mère m'a dit : tu as voulu être indépendante, tu ne peux plus revenir, mon père a dit : mon avenir est avec ma femme, pas avec mes enfants et j'ai été à la rue. J'ai vécu un moment dans une caravane.

A 9 ans j'ai été abusée par un ami de mon père. Il travaillait à l'étranger et venait dormir à la maison quand il était en France. Il était un peu mon tonton. Je dormais régulièrement avec lui, je ne me souviens pas à quel âge cela a commencé. Une nuit j'ai été réveillée par des attouchements, je pense qu'il dormait et qu'il a fait cela en dormant. J'ai été tétanisée, je n'ai pas pu bouger. J'ai quand même réussi à sortir du lit et suis allée pleurer dans les toilettes, ce qui a réveillé ma sœur, j'ai terminé la nuit dans son lit. Elle m'a dit qu'il ne fallait pas en parler pour ne pas briser l'amitié entre mon père et lui. Je n'ai plus jamais voulu dormir avec lui. J'ai pu en parler à ma mère à 21 ans, puis à 29 ans à mon père qui n'a rien dit. Ma belle-mère a dit que ce n'était pas grave. Moi je pense que c'est grave, en tout cas ça l'a été et je le porte encore. C'est ce jour-là que je me suis séparée de mon corps. Je n'ai pas compris ce qui se passait, ce qui m'arrivait, j'ai eu peur, j'ai eu de la honte et de la culpabilité d'être restée, de ne pas avoir bougé, de ne pas être allée réveiller mon père.

Vers 9, 10 ans j'ai commencé à fumer un peu puis après plus régulièrement vers 16, 17 ans. C'est aussi à cet âge que j'ai commencé le cannabis, l'alcool, dans un premier temps d'une façon festive. Dans l'année de mes 18 ans, j'ai été invitée à une soirée avec mon petit ami, j'ai oublié d'y aller. Mon petit ami est mort d'ivresse dans la nuit, il avait 18 ans. J'ai beaucoup culpabilisé, après je me suis mise à boire toute seule. Je lui en ai voulu d'être parti sans moi. Au lieu de mettre ma colère contre l'alcool, je l'ai mise contre la vie, contre moi, une colère à 9/10. Je me suis beaucoup scarifiée, coupée, brûlée, baignée en pleine nuit. Je me suis mise en danger, j'ai fait à plusieurs reprises du stop en pleine nuit.

A 19 ans j'ai eu mes premières tentatives de rapports sexuels mais en fait mon copain ne pouvait pas me toucher, car je faisais alors une crise de tétanie, une crise de larmes. Malgré 5 ou 6 tentatives, il n'y a pas eu de rapport à cause du dégoût. J'ai pu avoir mon premier rapport à 20 ans qui s'est bien passé ainsi que les suivants, le garçon était très doux, nous sommes restés ensemble pendant 3 mois.

A 20 ans lors d'une soirée alcoolisée, je me suis endormie et j'ai été réveillée par un garçon qui était en moi, il m'a sodomisée. J'ai été accusée d'être une traînée, accusée de l'avoir chauffé (pleurs). Ma sœur qui était à la soirée ne m'a pas protégée, il était un de ses amis. J'ai eu une honte, une culpabilité à 9/10. Je me suis dit que c'était ma faute, en gros je purgeais ma peine et si je ne me laissais pas faire, c'était mal. Après, en soirée, avec l'alcool, je cherchais un moment de tendresse, j'ai dragué, donné mon corps, je savais qu'il fallait en passer par là pour obtenir une nuit sans solitude. En fait soit le rapport était douloureux et je pleurais mais prenais sur moi, soit j'avais une cystite derrière et après je me sentais sale et parfois je ne m'en souvenais même pas.

A 22 ans j'ai eu un nouveau compagnon, la sexualité a été compliquée, je me forçais. Heureusement j'avais les cystites qui me servaient d'alibi pour éviter les rapports. Parfois j'espérais avoir mes règles qui sont pourtant tellement douloureuses mais elles me rendaient indisponibles, étaient une protection contre les rapports, de même que les crises de tétanie. Parfois je me suis laissée faire des choses que je ne voulais pas. Un jour il voulait un rapport que je ne voulais pas, il a insisté, insisté jusqu'à ce que je me laisse faire, j'ai pleuré, il ne s'est pas arrêté ! Quand j'ai un rapport, les ressentis de l'abus, du viol reviennent, reviennent tout le temps.

A 25 ans j'ai arrêté de fumer mais j'ai bu plus de bière. A ce même âge, ma sœur a eu un bébé, ce qui a été difficile pour moi car ma mère s'est occupée du bébé et j'ai perdu ma sœur. On m'a dit que, maintenant, je devais grandir, que j'étais une adulte et que je devais me réveiller. Je me suis sentie mise en dehors, comme si je n'étais pas assez grande pour comprendre, c'est cela qui m'a fait mal. Après un coup de téléphone me le signifiant, je me suis défigurée avec un couteau.

A 26 ans j'ai été suivie dans la rue par un homme. Je suis allée faire une main courante au commissariat, le flic m'a dit : vous êtes mignonne, moi je vous suivrais bien ! J'ai ressenti comme si c'était moi qui avais provoqué. Même si je me bats contre cela, c'est fondé en nous, dans notre société.

Depuis 2 ans j'ai un nouveau compagnon, nous avons peu de rapports, les rapports se passent assez bien même s'ils sont pour faire plaisir, néanmoins je sais dire ce qui me convient et ce qui ne me convient pas et il en tient compte. Je ne veux pas d'enfant, j'ai tellement reproché à mes parents de m'avoir mise au monde, je culpabiliserais. Et puis, je ne me sens pas capable d'assumer un enfant, j'ai déjà du mal à m'occuper de moi. De plus mon compagnon a 53 ans, la question ne se pose pas.

C'est surtout ma santé mentale qui a été impactée. J'ai toujours eu beaucoup de questionnements, de douleurs existentielles. J'avais toujours l'impression d'être décalée par rapports aux normes, aux fonctionnements de la société. J'étais toujours angoissée par mon non intérêt à la vie avec la conviction que je n'aurais pas dû m'incarner. Qu'est-ce que je faisais ici ? Je ne me suis jamais sentie à ma place et je ne la trouve pas encore. La vie c'est trop compliqué, trop douloureux, c'est difficile de se battre sans cesse, de penser qu'il n'y a pas de place pour moi. Etre là pour manger, puis pour vider ce qu'on a mangé (pleurs) ! Pourquoi j'étais obligée de vivre cela ? J'étais attirée par la mort, ne comprenant pas la vie. Pourquoi je n'aurais pas le droit de partir, de me suicider ? C'est, je crois, parce que je n'ai jamais trouvé la manière, j'avais peur de me louper. Je n'ai pas fait de vraie tentative de suicide, mais j'étais toujours sur la corde raide. Parfois dans mes crises d'angoisse, je mettais une corde autour de mon cou et la serrais fort, j'ai aussi pris de la digitale. Quand j'ai une trop forte envie de suicide, je prends ½ Lexomil. J'ai adopté des animaux car je sais qu'eux me retiendront, ils me donnent une responsabilité. Maintenant je gère mieux ces pensées, c'est en train de basculer.

En ce qui concerne ma santé physique, c'est vers l'âge de 20 ans que j'ai commencé à avoir une fatigue chronique avec des migraines, des douleurs cervicales, dorsales, des contractures. Je pense que pendant longtemps, j'ai été déconnectée de mon corps, je n'écoutais pas du tout mes limites. A 29 ans le diagnostic de fibromyalgie a été posé. On m'a proposé une hospitalisation d'une semaine dans une clinique. On ne m'avait pas prévenue que c'était pour me faire des perfusions de Kétamine, j'ai refusé. Le médecin a dit : si vous ne voulez pas qu'on vous soigne ! J'ai mis du temps à me remettre de cela. Cette année de mes 32 ans on a suspecté une endométriose, des examens sont prévus. Le chirurgien, m'a prescrit un traitement de Sawis qui va supprimer mes règles. J'ai beaucoup de réticence à le prendre car même si mes règles sont douloureuses, elles me protègent des rapports ».

Sa réflexion

« Après l'abus de mes 9 ans je me suis repliée sur moi-même, j'ai pensé que personne ne pouvait rien pour moi. Je commence juste à en sortir. Le confinement a été un électrochoc pour moi, j'ai pris conscience que je m'étais moi-même confinée en permanence. J'ai accepté de l'aide, je me suis rapprochée des associations. J'ai pu en parler à mon père qui n'en est pas revenu. Mon père et son ami se sont reparlé. J'estime avoir fait ma part par rapport à leur relation. J'ai fait une formation de kinésiologie et une de shiatsu qui m'aident énormément. J'ai accepté d'aller aux restos du cœur. J'ai fait une séance d'EMDR sur les problèmes avec mon beau-père qui a bien marché. J'envisage d'en refaire pour traiter les émotions secondaires à l'abus, au viol.

Ma culpabilité de la mort de mon copain à 18 ans qui est à 9/10 peut diminuer avec ce regard différent que vous m'invitez à avoir. Vous me demandez ce qui serait arrivé si je l'avais sauvé à cette soirée ? .... il serait probablement mort à la suivante (pleurs). Culpabilité à 3/10. Vous me proposez de me regarder prendre ce risque de faire du stop en pleine nuit ; je reconnais que dans ces circonstances, la vie a été clémente car je suis tombée sur des gens gentils. Quand vous dites que la prise de risque c'est fait pour se faire disjoncter, c'est passer à côté de sa vie, oui c'est cela, c'est exactement cela. Je dois travailler sur mes peurs, car j'ai peur de tout, de la réalité, du manque, de la mort, des gens et puis sur ma culpabilité envers différentes choses, pour l'instant, je bois tous les jours, je ne suis pas ivre, mais le lendemain j'ai de la culpabilité.

L'endométriose, la façon dont vous la présentez en symbolique me parle. J'ai toujours été un garçon manqué. J'ai peur de ma féminité, j'ai peur de ce qu'elle peut provoquer en face dans la gent masculine, j'ai peur des pulsions masculines incontrôlables. Mon féminin a mal, mon féminin est en colère, pourtant je peux l'aimer ma féminité, mettre des bijoux, me maquiller, mais si je me regarde, je remets bien vite mes vieilles frusques. Ma féminité est trop dangereuse dans le regard des hommes. J'ai un dégoût énorme des hommes, parfois, dès qu'ils me touchent, cela me donne envie de vomir. Les hommes sont des porcs.

Je sais maintenant que tous ces évènements peuvent devenir une force pour moi, pour les gens qui m'entourent. Je peux trouver ma place, aider les autres. Avant je voulais mourir, maintenant je ne veux pas partir avant d'avoir rayonné la lumière que je peux apporter ».

Une semaine après au téléphone : « L'entretien m'a chamboulée. Mais depuis l'entretien j'ai une approche différente, j'ai compris que, je ne me battais peut-être pas contre le bon coupable. J'ai pensé que mes problèmes sexuels étaient dus aux attouchements de mes 9 ans, je pense que j'ai minimisé le viol de mes 20 ans. Je pensais que ma fibromyalgie était due à la fatigue provoquée par mes études. Mais je me rends compte que si je dors beaucoup je ne me repose pas, probablement à cause des cauchemars que je fais suite à l'abus de mes 9 ans, au viol de mes 20 ans et plus je suis fatiguée, moins j'arrive à me reposer. Je comprends que je suis déchirée d'une part entre l'hyperactivité qui protège ma tête et le repos qui pourrait protéger mon corps. L'hyperactivité me protège quelque part, m'empêche de tomber dans la dépression, l'angoisse, c'est pourquoi je ne tiens pas compte de mes limites, je suis incapable de m'arrêter jusqu'à ce que je n'en puisse plus, ce qui aggrave ma fatigue. Je peux réfléchir en travaillant sur mes émotions à transformer ce cercle vicieux en cercle vertueux, car si on ne peut pas changer notre passé on peut changer la manière dont on réagit et dont on aborde l'avenir. Je pense que je n'avançais pas car je ne visais pas la bonne cible. Cette compréhension des choses me donne de l'espoir. Je vais lire envisager une thérapie brève ».

Tous les noms propres ont été anonymisés.