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ISTHAR

Dossier médical

Infécondité entre 29 et 35 ans, une IAC, 4 FIV. A 31 ans diagnostic d'endométriose sévère. A 36 ans grossesse gémellaire obtenue par don d'ovocyte, césarienne pour pré-éclampsie à 33 sa (semaines d'aménorrhée). A 37 ans naissance d'un garçon après transfert d'embryon congelé. A 39 ans chirurgie d'endométriose.

Son histoire

« J'ai été élevée au milieu d'une fratrie de 3 enfants, un demi-frère et la fille de mon beau-père. En fait je n'ai pas de papa, je ne l'ai jamais vu. Ma mère a eu un premier amour, elle a été enceinte à 19 ans. La famille du géniteur l'a obligée à se faire avorter, elle l'a très mal vécu, elle y pense toujours. Un mois après elle était enceinte de moi, elle a refusé une seconde IVG, a voulu me garder. Mon père l'a quittée pendant la grossesse, il l'a abandonnée. Elle m'a dit sa souffrance d'être sortie seule de la maternité avec son couffin et d'avoir dû prendre un taxi. Il ne s'est pas du tout occupé de moi, même s'il est allé me déclarer, alors que ma mère l'avait déjà fait. A la mairie ils ont rectifié et je porte le nom de mon géniteur. Ma mère l'a emmené au tribunal pour qu'il soit déchu de ses droits de père, le tribunal a refusé, mais ce droit de père, il ne l'a jamais utilisé. Il ne m'a plus jamais donné de nouvelles, sauf il y a peu de temps sur les réseaux sociaux. Il a souhaité me voir et j'ai refusé. En fait il paraît qu'il a cherché à me voir vers 10 et puis 18 ans, mais ma famille n'a pas voulu. Il n'a jamais rien assumé financièrement. Ma mère qui voulait faire des études a dû se mettre à travailler pour m'élever. Elle me reproche de n'avoir pas pu vivre sa jeunesse à cause de moi, obligée qu'elle a été de m'élever, toute seule. Je la remercie de ne pas m'avoir placée, et de ne pas m'avoir abandonnée. Ma mère est suicidaire, elle dit souvent qu'elle va se suicider, je l'ai entendu dire cela toute ma vie. Elle désire même être malade, peut-être pour qu'on s'occupe d'elle. Je sais qu'elle a eu une enfance difficile, elle était au sein d'une fratrie de 8. Elle a vécu la violence mentale, physique et peut-être sexuelle de son père qui a abusé les deux sœurs de ma mère. Cela a été dit à demi-mots car le sujet est tabou, on n'en parle jamais. Un an après ma naissance, son père s'est suicidé. Puis deux ans plus tard son frère de 22 ans qui était mon parrain, mon ange gardien est mort dans un accident de voiture. Ce soir-là, il était sorti, avait bu et comme il était violent dans ce cas, ma grand-mère n'a pas voulu lui ouvrir la porte, il est reparti et s'est tué. Quand j'ai eu cinq ans, ma mère s'est mariée avec un homme que je considère comme mon père, que j'appelle papa. Il avait déjà une fille ; ensuite ensemble ils ont eu un garçon, je les considère comme mon frère et ma sœur.

Je me suis mariée à 26 ans. C'est le jour le plus heureux de ma vie, car je prenais le nom de mon mari et ainsi ne porterai plus celui de mon géniteur, je me sentais une nouvelle femme. Puis il y a eu ce long et difficile parcours pour la grossesse, même si j'étais intimement persuadée que je serais mère un jour. Se sont mêlés pendant cette période mon très profond désir d'être maman parce que j'ai tellement d'amour à donner et en même temps la grande peur de cette casquette de parent, la peur de reproduire le schéma familial car le schéma qu'on m'a imposé, je n'en veux pas. Mon mari aussi avait peur car lui, c'est sa mère qui l'a abandonné pendant un temps. On était paumés tous les deux. Moi-même, j'ai eu des idées suicidaires avant d'avoir mes enfants. Toutes ces années entre 29 et 35 ans, je savais que ça ne marcherait pas, et cette année de mes 36 ans je savais intuitivement que c'était la bonne. J'étais prête, je savais alors que je méritais d'être maman, que j'allais devenir une bonne maman, et j'ai pu être enceinte car je n'ai jamais douté de mon mari. Ma première grossesse qui était gémellaire je l'ai vécue comme un miracle. J'étais tellement heureuse et en même temps j'avais tellement peur que ce bonheur s'arrête, j'avais peur qu'un matin je me lève et qu'il soit disparu. Aussi, pendant cette grossesse, j'ai mal dormi, j'étais réveillée 5 à 6 fois par nuit et je me précipitais aux toilettes pour voir s'il n'y avait pas de sang. Ce n'était pas de la peur, mais une véritable terreur : la terreur de perdre mes jumeaux, sans doute à cause de la mort trop présente dans ma vie. Pendant que j'étais enceinte une de mes copines a perdu son bébé de 15 jours. A chaque noël de mon enfance, je dis bien à chaque noël, il y avait la minute de silence pour la remémoration des décès de mon grand-père et mon oncle maternels. Quand j'avais 15 ans, ma cousine germaine de 2 ans s'est noyée, j'ai assisté à la descente aux enfers du couple qui s'est détruit. A 21 ans, j'ai vécu l'explosion d'AZF, c'était apocalyptique, un mort étendu à côté de moi, un enfant sans oreille, des gens ensanglantés, j'ai encore l'odeur du sang. J'ai été tellement choquée que je n'ai pas parlé pendant 2 mois. J'ai fait des séances d'hypnose et d'EMDR qui ont été difficiles, mais très bénéfiques. Ma terreur de perdre mes bébés était à la hauteur du bonheur tellement grand d'être enceinte. Je comptais chaque jour de la grossesse qui passait, qui était gagné, je le marquais sur le calendrier. Et puis, à 33 semaines, j'ai dû être césarisée pour une pré-éclampsie, mes jumeaux pesaient 1,1 et 1,2kg. Quand mes jumeaux sont arrivés il a fallu que j'accepte le vrai statut du papa, car au début de ma grossesse je considérais que les enfants n'étaient qu'à moi, comme dans l'histoire de ma mère. Quand mon mari faisait des bisous sur mon ventre je ne voulais pas, quand il disait qu'il était le papa, cela me faisait bizarre. Je n'étais pas du tout prête à mettre mes enfants dans les bras d'autres personnes, même pour un biberon, j'avais peur. Ma seconde grossesse, obtenue par transfert d'un embryon congelé, s'est beaucoup mieux passée, j'étais déjà maman, cela comptait énormément, j'avais moins peur, j'avais plus confiance. La peur de ne pas aimer l'enfant avait disparu, j'étais beaucoup plus sereine et je l'ai beaucoup mieux vécue.

Je suis fragile depuis le début de ma vie, j'ai peur de la vie. Mes insomnies d'enfant, mes douleurs au ventre sont en rapport avec ma vie. J'ai l'image de ma mère rendue fragile qu'on a contrainte à avorter, qu'on a abandonnée pendant sa grossesse, qui a dû m'élever toute seule. J'ai sûrement vécu sa souffrance dès qu'elle a été enceinte de moi, la grossesse a dû être difficile, elle avait des angoisses. J'admire ma mère qui a beaucoup souffert, j'ai une belle image de la femme, de la mère et en même temps je lui en veux, je l'accuse de ce qui m'est arrivé. J'ai aussi vécu sa violence quand elle me frappait avec un martinet, j'avais une grosse trouille de ma maman, j'étais toujours sur le qui-vive. Je lui en veux aussi de la peur que j'ai eue de reproduire sa violence sur mes enfants. Ces violences ont cessé vers 5 ou 6 ans quand mon beau-père que je considère comme mon papa est arrivé.

Mon géniteur, je ne lui pardonnerai jamais. C'est impardonnable, inacceptable, un être humain ne peut pas faire un enfant et ne pas s'en occuper. J'ai de la colère contre lui, toujours vive, c'est une terrible souffrance. Récemment il a voulu me voir pour libérer son âme, demander pardon, mais je ne veux pas, je ne peux pas lui accorder mon pardon. Il n'est pas mon père, seulement mon géniteur. Quand il me met sur un message qu'il m'aime, je trouve cela scandaleux. Je ne lâcherai pas ma haine, une haine à 10/10. Il m'a appelée pour me dire qu'il va bientôt mourir, je préfère le laisser partir sans le voir plutôt que lui dire ce que j'ai à lui dire, même si j'ai quand même du respect envers lui. Je sais qu'il n'a pas été reconnu par son père, ma grand-mère était fille mère, ensuite elle s'est mariée avec un autre homme qui a reconnu l'enfant. Mon père ne porte donc pas le nom de son vrai père. Avant moi, mon père a eu une fille qu'il a abandonnée. Après moi il a eu une autre fille et là, c'est la mère qui est partie, c'est lui qui l'a élevée. Encore après il a eu 2 enfants avec une quatrième femme puis il s'est marié avec une cinquième avec qui il a eu 3 enfants supplémentaires qu'il a élevés. »

Sa réflexion

« Je suis très en colère, une colère à 10/10, j'ai été obligée de lutter toute ma vie, j'ai dû occulter une partie de mon enfance qui était trop douloureuse. J'aimerais avoir parfois une vie normale, j'aurais aimé avoir mes enfants comme tout le monde car toutes les démarches de PMA ont cassé la magie de la fécondation. Je pense que mon endométriose me parle de ma vie, elle peut avoir un lien avec mon histoire, avec un choc émotionnel, avec la grossesse de ma mère en danger et tout ce que j'ai vécu quand elle m'attendait. Tout cela a du sens. Je demande pardon à mon corps, je vais reprendre ma vie en main, tout va bien se passer et je ne lâcherai rien. »

Tous les noms propres ont été anonymisés.