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ÉRINA

Dossier médical

Infécondité étiquetée masculine. A 51 ans, cancer du sein gauche traité par mastectomie, chimiothérapie et radiothérapie. Recul de 11 ans.

Sa vie

« Je suis la dernière d'une fratrie de 3 enfants. Dans la famille il y avait le nécessaire, il y avait de l'amour mais sans mot car on ne parlait pas à la maison, je n'ai pas eu la tendresse que j'aurais aimé avoir. Il y avait du bon sens, mais pas de culture, il n'y avait que la valeur travail qui comptait. Et puis il y avait l'alcool aussi, mon père arrivait souvent saoul le soir, mais sans violence.

Je suis partie de chez moi à 20 ans, j'ai rencontré mon mari à 24, j'ai tout de suite su que c'était lui. J'ai fait un mariage d'amour, il dure toujours depuis. C'est un homme gentil, intègre, de grande valeur. Il n'a pas eu une enfance facile car orphelin de père à 10 ans, aîné de la fratrie, chargé de famille très jeune ; il a connu la rue, la maison d'accueil. Nous n'avons pas pu avoir d'enfant. Le bilan a montré que mon mari avait peu de spermatozoïdes et il a 2 frères qui n'ont pas pu avoir d'enfant non plus. Nous avons rapidement arrêté les explorations car, pour moi, c'était mon mari ou rien. Cependant je n'ai pas définitivement tourné la page, c'est toujours un vide, un vide à vie. Cela affaiblit le côté moral, c'est une difficulté sociale, la reproduction est une mission dans notre société et je n'ai pas de statut de mère. Par ailleurs, même si j'aime mon mari, je n'ai pas eu d'épanouissement sexuel avec lui, il n'est pas un bon amant. Je me suis résignée et lui ai offert 33 ans de fidélité, par amour, car j'aime sa personnalité. Je me dis que j'aurais dû taper du poing sur la table, mais c'était avant qu'il fallait bouger, maintenant je dois l'accepter, accepter de n'avoir été ni mère, ni femme.

A à 35 ans, je suis entrée dans une entreprise et y suis restée 15 ans. Je n'étais pas du tout en harmonie avec mon travail, ni avec mes collègues, mais je suis restée car je ne voulais pas lâcher alors que je considère que j'entamais mon énergie vitale. Mais on ne baisse pas les bras chez nous et puis la peur m'a empêchée de quitter ce travail. Je me suis sous-estimée pendant des années, je n'ai pas eu le cran de prendre ma vie en main, c'est de ma faute, j'aurais dû faire autrement. Là encore je n'ai pas eu le courage de taper du poing sur la table, de dire que cette vie ne me convenait pas. Je n'ai pas décidé, pas assez, ce qui fait que j'étais dans un état permanent de colère, la colère m'a beaucoup accompagnée. J'ai été licenciée à 50 ans. Cette même année, mon père est mort après 2 ans de maladie d'Alzheimer, c'était terrible. Après le décès, mon frère aîné s'est octroyé le droit d'aînesse pour l'héritage. Cela n'a pas été digne mais indécent, on est allé au clash. J'ai coupé les ponts avec lui, avec ma mère qui prenait son parti. J'ai été dans un état de conflit, de colère, de haine, de rancune terrible. »

Sa réflexion

« Mon cancer c'est l'accumulation de plein de choses, je pense que c'était obligé que je tombe malade, inévitable, je n'ai pas été surprise. Je paie l'addition de mon manque de courage. J'ai été opérée en décembre de l'année de mes 51 ans. Je ne pensais pas que j'étais si mal en point avant mon cancer ; maintenant je le sais. Je sais que la maladie m'a arrêtée, elle m'a aidée à rester vivante, et je suis vivante, autrement je me serais égarée. Je pense que je suis allée jusqu'au bout de ce que je pouvais. Il m'a fallu cela pour que je comprenne. Comme si quelqu'un m'avait dit : 'Tu n'as pas voulu t'écouter, tu n'es pas en harmonie avec toi-même, on va t'envoyer ce qu'il faut pour comprendre. Si tu t'en sors, c'est que tu auras compris ; si tu ne comprends pas tu ne t'en sortiras pas.' Il fallait passer par là, il fallait que je prenne ce gros coup qui m'a donné la force, le sens, qui m'a permis d'être moi-même. Ma maladie m'a rendu service. Je me suis donné la peine, la volonté, la force de comprendre, de me faire aider, je suis fière. Je pense que, s'il y a 20 ans j'avais compris ce que j'ai compris maintenant, je n'aurais pas eu ce cancer, une harmonie préventive l'aurait évité. La maladie a quelque chose à nous dire de nous, je pense qu'elle a à nous dire la nécessité d'être en harmonie avec nous-mêmes. Maintenant je me sens bien, je commence à m'aimer, je me sens libre et autonome, je sais m'arrêter, je n'ai plus depuis ma maladie à livrer ce combat aux autres.

L'évènement le plus difficile de ma vie c'est cette maladie, l'épreuve pour comprendre. »

Tous les noms propres ont été anonymisés.