VÉGA
Dossier médical
A 17 ans maladie de Hodgkin (cancer du système lymphatique). A 18 ans paralysie faciale a frigore. A 40 ans ménopause précoce.
Sa vie
« Je suis l'aînée d'une fratrie de 3 enfants, j'ai 2 frères. J'ai été adorée par mon père et par ma mère, ils ont fait leur maximum. J'ai adoré mon papa, nous étions très proches. Mon père avait eu un garçon et une fille d'un précédent mariage. Il avait été marié avec la tante de ma mère qui est morte d'un cancer, il a donc épousé en secondes noces la nièce de sa première femme. Ils avaient 10 ans d'écart, la famille n'a pas du tout apprécié ce mariage, mon père a été complètement rejeté par toute la famille. La famille a pris les deux enfants du premier mariage, qui ont été élevés par mes tantes. Ils devaient appeler leur père tonton les rares fois où ils le voyaient. Je me souviens que mon père restait dans la voiture quand, de temps en temps, il m'emmenait voir ma grand-mère. Je n'ai pas mal vécu cette histoire dans un premier temps, le cocon familial étant tellement aimant.
Puis il y a eu mai 1968, j'avais 12 ans. Mon père qui était policier partait le soir à 18 heures et rentrait le lendemain matin à 8 heures après les nuits d'émeutes. Ma mère et moi ne dormions guère, nous l'attendions, la peur au ventre, très angoissées, nous étions saisies de frayeur s'il avait un peu de retard. J'ai connu des sentiments d'effroi, de terreur que j'ignorais auparavant, comme si l'insouciance de l'enfance m'avait quittée, j'ai compris que mon père avait un métier dangereux. Puis j'ai connu aussi des sentiments de révolte quand j'ai réellement pris conscience de l'anathème que la famille avait lancé sur mon père. J'ai commencé à me révolter contre l'attitude de la famille vis-à-vis de mes parents, pour le mal qu'ils faisaient à mon père. J'ai pris conscience que les fondements de ma famille, que j'avais cru stables, étaient instables à cause de ces deux enfants exclus du noyau familial, j'ai compris que je vivais au sein d'une famille spéciale, que la situation n'était pas normale. Dès que l'on touchait à mon père je me révoltais, seul mon père comptait, je voulais protéger mon père, c'était mon dieu.
A mes 17 ans ma vie a basculé. Mon père a été gravement blessé lors de son travail dans une course poursuite avec des voyous. Il est resté 10 jours dans le coma et 3 mois à l'hôpital. J'ai eu tellement peur de le perdre ! J'étais rongée par l'anxiété. Six à huit mois plus tard on diagnostiquait ma maladie de Hodgkin. Au moment de ma maladie, mon demi-frère et ma demi-sœur se sont révoltés eux aussi et seulement à ce moment-là ils se sont rapprochés de nous et sont vraiment devenus mes demi-frère et sœur. Ma maladie m'a fait gagner un frère et une soeur. Mon demi-frère a été très présent pendant ma maladie et j'ai gardé une relation privilégiée avec lui, il est l'homme que j'aurais pu aimer.
Je me suis mariée à 22 ans, nous avons désiré un enfant 2 ans plus tard. Comme il ne venait pas, j'ai eu un traitement pendant 18 mois. Puis un médecin m'a dit clairement que je n'aurais jamais d'enfant, mes ovaires ayant été abîmés par le traitement de ma maladie de Hodgkin. Cet épisode a été l'évènement le plus douloureux de ma vie avec l'agression de mon père. Je me suis séparée de mon mari à 31 ans et mon mari m'a appris alors qu'il était homosexuel. J'ai rencontré à ce moment-là un homme marié avec qui j'ai, depuis, une relation tumultueuse, avec des pauses épisodiques, nous ne vivons toujours pas ensemble. Je me demande si je n'ai pas choisi ces hommes car aucun d'entre eux ne pouvait rivaliser avec mon père.
Quand j'ai eu 49 ans ma mère est décédée. A cette occasion, j'ai retrouvé des lettres terribles écrites par mes tantes, je les ai brûlées. Je me suis culpabilisée d'avoir privilégié mon père, de ne pas avoir remercié assez ma mère qui a été exemplaire. Je me souviens lui avoir dit un jour : 'Tu aurais mieux fait de me laisser partir plutôt que de me laisser une vie sans enfant.' Ce qui a dû être difficile pour une maman. J'ai fait ma pneumopathie bilatérale après le décès de ma mère, j'ai été hospitalisée en urgence. Mon père est mort au début de l'année de mes 57 ans, je suis en paix par rapport à son décès. »
Sa réflexion
« Pour moi, c'est une évidence que ma maladie est secondaire à l'agression sur mon père. J'ai tellement été rongée par la terreur de le perdre ; pour moi, cela ne peut pas être autre chose. Quand on a ce genre de maladie, on vous soigne mais on vous laisse à votre solitude, on est seule à traverser cette épreuve de la maladie alors qu'on aimerait pouvoir en parler. Je pense que cela a bien évolué, il y a une prise en charge maintenant. Je suis venue ici faire une mise au point de ma vie. Vous m'avez été d'une grande aide, je n'avais jamais parlé de tout cela. »