URANIE
Dossier médical
A 26 ans naissance d'un garçon, à 32 ans naissance d'une fille. A 46 ans cancer du sein gauche traité par tumorectomie, puis mastectomie, chimiothérapie, radiothérapie, hormonothérapie. Recul de 11 ans.
Sa vie
« Je suis l'aînée d'une fratrie de deux filles. J'ai eu des parents aimants, bohèmes, privilégiant une éducation artistique. J'ai de bons souvenirs de mon enfance avec mes parents et surtout mes grands-parents. Mais au moment où je suis devenue adolescente ma mère s'est mise à boire, mon père n'a pas voulu assumer, c'est donc moi qui l'ai prise en charge. J'ai des images de cette époque que je veux oublier. Ma mère n'a pas été un modèle pour moi, ou plutôt elle a été un modèle à éviter, il fallait surtout garder le contrôle.
Je me suis mariée à 22 ans, j'ai fait un mariage d'amour. Je suis venue habiter au bord de la mer, là où je venais en vacances l'été, c'était la réalisation d'un de mes rêves. Puis j'ai eu mon fils qui a été opéré à quelques jours de vie d'une sténose du pylore, ce qui l'a rendu fragile, il est resté le seul enfant pendant six ans, je n'ai pas eu l'impression de le surprotéger. Puis sa sœur est née. A partir de ce moment-là, il a été très difficile, il m'a fait tourner en bourrique, il m'a fait payer ma seconde maternité. Il était toujours en train de me solliciter, d'autant plus que j'ai eu l'impression d'élever mes enfants seule, mon mari étant souvent absent pour son travail. Je me suis occupée de mes enfants tout en travaillant et en continuant mes études. J'ai passé une dizaine d'années à passer des concours pour progresser dans l'administration dans laquelle je travaillais, je suis maintenant responsable de tout un service, c'est une belle réalisation, c'était un choix, c'était très valorisant pour moi. Mais j'ai, sans doute comme beaucoup de mamans, culpabilisé pour ne pas avoir consacré assez de temps à mon fils, il a continué à peser beaucoup sur moi. A 18 ans il est parti comme compagnon du tour de France. J'ai dit OUF, je l'ai vécu comme un soulagement, je me suis dit : 'Enfin quelqu'un d'autre va le prendre en charge !' J'ai énormément culpabilisé d'oser penser cela, d'autant plus que cela n'a pas été le cas, il a continué, même de loin, à me solliciter pour régler ses problèmes. Dix-huit mois plus tard on faisait le diagnostic de cancer du sein. Quand j'ai été malade, ma mère qui habite Paris n'est pas venue me voir, elle a donné comme explication : 'Tu comprends j'ai mon chien, je ne peux pas le laisser' ».
Sa réflexion
« L'image du modèle de ma mère sur qui je n'ai pas pu compter à partir de mon adolescence était par-dessus tout à éviter. Mon fils a donc pu compter sur moi indéfectiblement jusqu'à la limite de mon périmètre de survie. Le corps à un certain moment s'insurge : 'Cela suffit, la coupe est pleine.' Quand il est parti cela a été un relâchement pour moi, enfin ! La culpabilité que ces pensées représentaient a été une brèche dans laquelle la maladie s'est engouffrée à un moment de ma vie où j'étais le plus vulnérable. Avec ma maladie, j'ai eu l'impression de payer mon relâchement, je m'étais laissée aller à ce relâchement et il fallait payer. Je ne pourrai jamais en parler à mon fils car je pense qu'il a une part de responsabilité dans ma maladie. Je l'ai laissé me faire tourner en bourrique puisque je ne voulais, à aucun prix, qu'il dise un jour de moi ce que je me dis de ma mère : 'Que je ne peux pas compter sur elle.'
J'ai positivé l'année que j'ai passée à la maison après mon cancer en faisant des choses qui me plaisaient, néanmoins je devais payer le plaisir que j'y prenais par les séances de chimiothérapie. Il y a un prix à payer pour être heureux, je pense que tout bonheur doit être comptabilisé et ensuite facturé. Depuis mon cancer du sein, je lâche la bride davantage à mon seul bénéfice, je me sens plus forte, alors que, étrangement, avant la maladie, je pensais pouvoir tout absorber, maintenant je sais que non, je ne peux pas tout porter sur mes épaules : l'alcoolisme de ma mère, les difficultés de mon fils. Je commence depuis ma maladie à le laisser se débrouiller tout seul, à le voir prendre des coups en me disant : 'C'est la vie, tant pis pour lui !' La maladie a été une intruse qui m'a donné un signal d'alarme sur ma vie, m'a permis une réflexion sur ma vie, elle m'a énormément appris. Elle m'a donné quelque chose en plus, une force nouvelle. Je pense que la façon dont on voit la maladie, dont on l'accepte est la clé de la guérison, elle m'a permis une nouvelle harmonie. »