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THAÏS

Dossier médical

A 23 ans naissance d'un garçon, à 24 d'une fille. A 54 ans cancer du colon. Décédée à 60 ans.

Sa vie

« Je suis née d'un amour hasardeux, j'ai été conçue sur la paille, ma mère avait à peine 17 ans, mon père 22. Je suis l'aînée d'une fratrie de cinq enfants. Je n'étais pas une enfant désirée. Rapidement mon père est parti faire la guerre d'Algérie. Quand il est revenu, ils ont eu quatre autres enfants. A 22 ans ma mère avait 5 enfants. Quand j'avais 6 ans, un soir en rentrant de l'école, ma mère n'était pas là. Sur la table, le repas du soir était prêt et il y avait une lettre. J'ai attendu que mon père rentre du travail, il nous a lu la lettre. Nous avons appris que ma mère était partie avec le dernier-né et que le père de celui-ci n'était pas mon père, ce que mon père ignorait : il avait reconnu l'enfant. Je n'ai pas revu ma mère. J'ai été mise à l'orphelinat chez les sœurs de Saint Vincent de Paul avec ma sœur et mes frères. Il y avait des barreaux aux fenêtres et on ne sortait pas de l'orphelinat. Je fais l'amalgame avec mon fils qui est maintenant derrière les barreaux de la prison. On a été bien conditionnés dans ce moule : j'ai eu des apparitions de la Vierge, une fois je me suis réveillée dans un cauchemar, je brûlais dans mon lit car j'avais menti aux religieuses. A partir du collège mon père nous prenait tous les week-ends avec lui, il était chauffeur routier et le lundi matin il fallait repartir à l'orphelinat. Tous les dimanches soir j'avais des insomnies qui perdurent toujours, j'ai fait du somnambulisme, je marchais sur les barres des box, on m'a donné des somnifères dès l'âge de 11 ans. Les lundis matin, je dis bien tous les lundis matin, j'avais une « crise de foie », je vomissais de la bile. A 13 ans, je suis allée au collège dans une école publique, tout en restant à l'orphelinat. Quand j'ai été adolescente, mon père, qui est resté seul après le départ de ma mère me prenait pour sa femme, c'était plus que tendancieux, il mettait ma sœur et moi, dans son lit. Il faisait des attouchements à celle qui était près de lui, on se battait pour être sur le bord du lit, pas contre lui. Une fois à 30 ans après ma séparation d'avec mon mari, mon père qui était venu chez moi, m'a proposé de se mettre au lit avec moi, je me suis fâchée. En fait j'ai toujours été révoltée. Mon corps a beaucoup souffert en pension et ça continue plus ou moins en permanence, comme une cicatrice de souffrance dans mon corps. Je suis sous traitement pour des douleurs d'estomac depuis tellement d'années.

A 18 ans je suis allée à la fac et j'ai passé un concours de l'administration, j'ai été reçue, j'étais enfin autonome. Le premier garçon que j'ai rencontré, j'ai cru que c'était le grand amour, je me suis mariée à 20 ans, puis j'ai eu mes deux enfants. Sexuellement, c'était pas terrible. Mon mari s'est mis à boire, l'alcool le rendait fou, il est devenu d'une jalousie extrême. Il s'est mis à me battre, je me révoltais, alors il mettait la vie des enfants en danger. Il pouvait demander à notre fils qui avait 2 ou 3 ans de l'aider à casser la maison que nous étions en train de construire, il lui donnait un marteau pour taper sur les murs. Quand il était ivre, il voulait me forcer à avoir des rapports, si je refusais, il réveillait les enfants pour le leur dire, les prendre à témoin, alors j'acceptais. Une fois il m'a déshabillée de force dans la rue. Les enfants ont été témoins de toutes ces disputes. Quand nous nous disputions, ma fille hurlait, je la prenais dans mes bras, il me l'arrachait. A ce moment-là de leur vie, les enfants ont été malades en permanence : des otites incessantes. Après des violences plus fortes, je suis allée faire une déclaration à la police. Nous nous sommes séparés, ma fille avait alors 18 mois. Il a gardé le droit de les avoir le weekend, un weekend les policiers ont retrouvé ma fille qui avait alors 3 ans enfermée dans un placard et mon petit garçon s'était sauvé chez les voisins, il y avait plein de couteaux de cuisine sur la table. Un jour mon mari est venu chez moi, il a tout cassé, il a lacéré les matelas à coups de cutter. Pendant deux ans ça a été de la survie, du sauve qui peut. J'ai souvent eu des crises d'angoisse, une à deux par mois, très éprouvantes et quelques heures après des gastralgies importantes, des remontées acides. J'ai demandé que mon mari n'ait plus le droit de voir les enfants, ce qu'une décision de justice a entériné, là on a été plus tranquilles. On ne l'a plus vu pendant 13 ans et on a appris qu'il est mort d'un cancer de l'œsophage, en fait il est mort d'alcoolisme, il vivait dans un taudis et ce sont mes enfants qui ont nettoyé et déménagé le taudis.

A 23 ans j'ai assumé pendant un temps un de mes frères, qui après un accident de voiture, est resté 6 mois dans le coma, puis a atterri sous les ponts à sa sortie de l'hôpital, je l'ai récupéré un moment chez moi. Mon second frère est devenu alcoolique. J'ai aussi assumé pendant un temps mon beau-père atteint d'Alzheimer et ma belle-mère.

A 40 ans, j'ai voulu revoir ma mère pour lui dire que je ne lui en voulais pas. Je suis allée chez elle avec mon second mari que j'ai épousé à 44 ans et mes enfants pour les lui présenter. Il n'y a pas eu de vraie rencontre, depuis, je ne l'ai pas revue.

Ma fille a eu à plusieurs reprises des problèmes de santé, les médecins ont évoqué une maladie de Crohn. Son copain, père de deux enfants d'une première union, s'est pendu. Quand j'ai eu 48 ans mon fils, qui consommait de l'héroïne, a été arrêté pour meurtre. Mes douleurs abdominales ont augmenté, j'ai eu plusieurs fibroscopies et à 54 ans on a découvert mon cancer du colon. »

Sa réflexion

« Je pense qu'on a des prédispositions, mais ce sont les aléas de la vie et les choses difficiles qui font que la maladie se déclenche. Il faut être fort trop longtemps, il fallait bien que le corps dise à un moment : 'Je n'en peux plus.' Ce que nous avons vécu dans notre toute petite enfance se répercute sur toute la vie. Quand il faut faire face à une enfance difficile, à une union décevante, à des difficultés incessantes, le corps dit stop. Je pense que j'ai demandé beaucoup à mon corps, car il faut continuer, il fallait continuer. Un jour le corps lâche et il vient de lâcher. J'ai vu un psychologue au moment de l'arrestation de mon fils. Il m'a beaucoup aidée à mettre de l'ordre dans le déroulement de ma vie. J'ai mon mari qui est très important pour moi, il aurait pu partir au moment de l'arrestation de mon fils, il est toujours là. »

Tous les noms propres ont été anonymisés.