SÉLÉNÉ
Dossier médical
A 26 ans accouchement prématuré à 6 mois d'une fille de 750 gr décédée à 48 heures. A 27 ans deux fausses couches. A 28 ans naissance d'un garçon à 8 mois, hospitalisée 2 mois pendant la grossesse pour menace d'accouchement prématuré. A 29 ans naissance d'une fille à 8 mois. A 31 ans cancer de la thyroïde traité par thyroïdectomie totale et curiethérapie, recul de 25 ans.
Sa vie
« Mon cancer de la thyroïde n'est pas un hasard. J'ai eu une enfance difficile avec un père alcoolique et violent, nous subissions ma mère et mes frères les violences de ses crises. Mon père m'interdisait de parler, quand je parlais, il m'envoyait des objets à la figure. Une fois j'étais au sol et il m'a tirée par les cheveux pour me faire descendre les escaliers. Enfant je dormais mal, j'étais toujours sur le qui-vive, j'avais peur d'être réveillée par une scène de violence. Et puis je soupçonne mon père d'inceste, au moins par son regard malsain sur moi, ce qui me gênait terriblement, puis ses retours en plein après-midi quand il faisait beau et que j'étais en maillot de bain sur la pelouse, je me sauvais alors. Ma mère me disait : 'Enferme toi dans ta chambre.' Parfois quand il avait des crises trop violentes, qu'il cassait tout, nous allions nous réfugier dans l'église. Parfois je m'interposais entre mes parents quand mon père frappait trop fort sur ma mère, c'était une vie infernale. Il a été diagnostiqué schizophrène, a fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique, plusieurs cures de désintoxication. Ma mère a voulu partir puis elle a reculé, je me souviens lui avoir dit : 'Maman il faut partir', mais elle est restée. Entre ma mère et moi il y avait également des violences verbales, ma mère est méchante. Mon frère aîné n'a pas supporté toute cette violence, il faut dire que mon père s'acharnait encore davantage sur lui. Il a fait plusieurs tentatives de suicide, il a réussi à 22 ans à se suicider en se tirant une balle dans la tête. Avec ce frère il y a eu inceste, la nuit quand je dormais, il venait dans ma chambre pour me regarder dormir, je ne me rappelle plus très bien, mais je me souviens de ce regard sur moi, parfois quand je me réveillais, il était sur moi. Je dormais mal, j'avais peur du noir. Le jour de sa mort, j'avais rendez-vous avec lui à 14 heures, j'ai été très en retard pour ce rendez-vous, je ne l'ai pas vu. Il a été retrouvé mort quelques heures plus tard, une balle dans la tête. Je me suis beaucoup culpabilisée. Seul mon dernier frère s'en sort bien, mon père a fait une cure de désintoxication qui a mieux marché, il ne s'est pas acharné sur lui.
A 16 ans je suis partie de chez moi parce que je ne supportais plus cette violence. Je voulais un enfant, une fille mais sans le père. J'ai rencontré un homme de 10 ans mon aîné, je suis restée 4 ans avec lui. Je l'ai quitté car il buvait et pendant un moment, je me suis moi-même mise à boire, j'étais perdue. J'ai continué à courir après l'amour car je veux qu'on m'aime. J'ai rencontré un autre homme avec lequel je suis restée quelques mois, puis, après une dispute il est parti avec sa voiture, a eu un accident et est mort, j'en ai conçu une grande culpabilité. Puis j'ai rencontré mon mari, au début c'était bien, j'ai été enceinte de ma fille. A 6 mois de grossesse, mon mari m'a emmenée me promener dans des chemins chaotiques, sans raison, le soir je suis rentrée à l'hôpital et j'ai accouché : ma petite fille est morte. J'ai accusé mon mari, je me suis moi-même culpabilisée en me disant que je n'étais pas capable d'avoir un enfant. Il faut dire que la grossesse bien que désirée avait été difficile, je n'ai pas pris un seul kilo, j'ai même maigri. J**'étais tellement angoissée, j'avais tellement peur. J'avais peur d'être mère, la responsabilité d'être mère m'effrayait**, c'est tellement difficile d'être parent J'avais peur d'aller jusqu'au bout de la grossesse et j'ai accouché prématurément, comme à chaque fois d'ailleurs. Ensuite j'ai fait deux fausses couches précoces. Puis j'ai été enceinte de mon fils, j'ai fait une menace d'accouchement prématuré, j'ai été cerclée, j'ai passé deux mois à l'hôpital. J'ai rencontré un obstétricien extraordinaire, il m'a écoutée, entendue, rassurée, il a compris mon angoisse et m'a proposé de l'appeler si je n'allais pas bien, ce que j'ai fait à plusieurs reprises ; il m'a dit : 'On va la mener à bien cette grossesse.' Il a aussi suivi la grossesse pour ma fille, je ne sais pas si j'aurais pu les mener à bien ces grossesses sans lui.
Quand j'ai eu 30 ans, mon père est mort d'un cancer du colon, il avait 57 ans, sur son lit de mort il a interdit à sa mère de venir le voir. Je ne sais pas très bien pourquoi, mais je sais que lui-même avait eu une enfance difficile, qu'il avait été orphelin de père à 10 ans. Même si avec mon père cela a été difficile, j'ai été choquée par sa mort, sa déchéance physique rapide. Un an après, j'ai fait mon cancer de la thyroïde. Pendant mon hospitalisation, mon mari n'est pas venu me voir une seule fois, je me suis sentie abandonnée. J'ai vécu l'isolement de ma curiethérapie comme un emprisonnement, une grande solitude. Avec mon mari la situation s'est détériorée et il m'a frappée, nous nous sommes séparés, j'avais 33 ans. Avec ma fille c'est difficile. Il y a eu de la violence entre nous deux, nous avons pu nous tirer les cheveux. Elle dit avoir subi des attouchements de son père à l'âge de sept ans et elle considère que son père l'a abandonnée. Elle avait 4 ans quand nous nous sommes séparés. Elle s'est automutilée : des coups de fourchette sur les mains, une tentative de mettre le feu dans ses cheveux et trois tentatives de suicide. Elle a eu des troubles du comportement alimentaire ».
Sa réflexion
« J'ai pensé plusieurs fois à en finir, une fois j'ai failli foncer sur un camion mais j'ai pensé à mes enfants, ce sont eux qui m'ont sauvée. Je suis fatiguée, je suis fatiguée de la vie, j'ai l'impression d'avoir 80 ans. Je dors toujours très mal et ce depuis l'enfance. Je n'ai jamais un sommeil paisible, je me réveille fatiguée. J'ai été traumatisée par toute cette violence et je le suis encore, on m'a tellement cassée. Je suis remplie de culpabilité, je me suis beaucoup culpabilisée de la mort de ma petite fille, de celle de mon ami mort de l'accident de voiture, de celle de mon frère. J'ai encaissé, encaissé, c'est resté coincé au niveau de la gorge, au niveau de la voix puisqu'on m'empêchait de parler. Je pense que c'est le ras-le-bol de tout ce que j'ai vécu qui est sorti avec mon cancer de la thyroïde.
Maintenant, avec le recul, ma culpabilité s'est atténuée, j'ai compris que beaucoup de choses ne m'appartenaient pas. Puis j'ai fait des rencontres décisives : l'obstétricien qui a suivi mes deux dernières grossesses, les psychiatres que je vois depuis plusieurs années. Ce suivi m'a beaucoup aidée, m'a même sauvée, je ne sais pas si je serais là sans cela. Je pense que j'ai pardonné à mon père, à mon frère, à mon mari. Je considère que je ne m'en suis pas si mal sortie, je suis fière de moi. Mon fils va bien, je fais ce que je peux pour ma fille. Je suis reconnue dans mon travail qui me plaît. »