GWENDOLINE
Dossier médical
A 22, 25 et 26 ans naissance de garçons, à 23 ans naissance d'une fille. Une douzaine d'IVG clandestines. A 43 ans cancer du sein. A 45 ans hystérectomie et annexectomie (fibromes). A 56 ans lymphome. A 63 ans cancer lingual. A 69 ans spondylarthrite (maladie auto-immune articulaire). A 69 ans chirurgie de la colonne arthrodèse L4-L5.
Sa vie
« Je suis l'aînée d'une fratrie de 8 enfants. Mon père était ouvrier et nous étions 10 à table. Ma mère était bien brave, mais sans énergie, elle ne gérait rien, elle ne décidait jamais rien, c'est moi qui faisais tout. J'assumais la maison, mes frères et sœurs, j'ai même aidé ma mère à accoucher pour mon dernier frère, j'avais douze ans. Je manquais souvent l'école pour gérer la maison, en fait j'y allais très peu, juste les quelques jours nécessaires pour recevoir les allocations. Ma mère dépensait en quelques jours cet argent et ensuite elle m'envoyait faire les courses à crédit, car elle disait : 'A un enfant, on donne.' Ma mère m'en voulait que je fasse ce qu'elle aurait dû faire elle-même mais dont elle était incapable, elle préférait ma sœur. Elle était jalouse du crédit que j'avais auprès de mon père dont j'étais la préférée. Elle s'est mise à boire. Mon père aussi buvait, alors il devenait violent, le soir quand il rentrait du travail, ma mère me demandait de regarder si le vélo roulait droit. Nous vivions dans la crainte, la peur, toujours sur le qui-vive, car quand il était ivre il frappait ma mère, il cassait la vaisselle, j'assistais aux violences. Une fois, lors d'une violence, ma mère s'est évanouie, c'est moi qui me suis occupée d'elle, c'est moi qui suppliais : 'Arrête papa !'. Il n'a jamais frappé ses enfants, je pense même avoir eu l'amour de mon père, par contre, je n'ai pas eu l'amour de ma mère, non je ne l'ai pas eu, je n'ai pas connu la tendresse d'une mère.
Je suis partie à 14 ans de chez moi, c'est moi qui ai voulu quitter la maison, j'ai travaillé comme bonne à tout faire. A 16 ans j'ai changé de patron et ce dernier a voulu abuser de moi. Je me suis défendue, nous nous sommes battus, je lui ai lacéré le visage, je l'ai défiguré. Ensuite, j'avais peur, j'ai voulu me sauver, mais il m'a récupérée à la sortie du train que j'avais pris. Comme j'étais mineure j'ai dû rester chez lui avec ma peur, je n'avais personne pour me défendre, j'étais seule.
Je me suis mariée à 23 ans, parce que j'étais enceinte. Ma mère m'a prévenue : 'Garde l'enfant mais ne te marie pas, tu seras malheureuse avec lui.' Je n'ai pas écouté ma mère et j'en ai beaucoup de regrets, j'y pense souvent. Je suis toujours avec mon mari. En fait je n'ai pas été son épouse mais sa mère, j'ai assumé mon mari comme un enfant. J'ai donc eu quatre enfants plus mon mari enfant. Il a commencé à me battre après les naissances, il était jaloux des enfants, il me voulait pour lui seul, mais je me suis défendue et il a arrêté. Il n'a pas assumé ses enfants, ne leur a jamais donné d'affection, ne les a jamais embrassés, pris sur ses genoux. En fait il n'en voulait pas d'enfant. Un jour nous étions en voiture, j'allaitais ma fille qui avait 6 mois, elle a sali sa voiture en vomissant, ce qu'il ne supportait pas, il a freiné brutalement, ma fille est tombée la tête sur la radio, le lendemain elle est tombée dans le coma et a dû être trépanée. Il n'a absolument rien assumé, ni les enfants, ni notre commerce, ni la gestion de la maison.
J'ai continué à tout assumer adulte, comme j'avais dû le faire enfant, j'avais été formatée pour cela. Et je culpabilisais quand je trouvais que je n'en faisais pas assez. Comme je travaillais énormément avec toutes ces responsabilités non partagées, j'ai compensé en donnant de l'argent à mes enfants, moi qui n'en avais pas eu petite, mais sans les responsabiliser ni les structurer. Je sais que j'ai eu tort car ils entretiennent avec moi des relations d'argent, je ne les vois presque plus. Mon fils aîné boit, il a fait une tentative de suicide à 39 ans. Le second a fait 6 semaines de prison quand il avait 18 ans car il volait dans les magasins. Je lui ai prêté de l'argent et je sais que si je veux le récupérer je devrai lui envoyer l'huissier. Il me voit encore, mais c'est par profit. Ma fille est une femme soumise à son mari avec qui j'ai des relations difficiles. A 57 ans j'ai perdu mon troisième fils qui est mort d'un accident de voiture avec sa fiancée, il avait 21 ans et elle 20, un chauffard ivre a embouti leur voiture. Il a fallu continuer à vivre. »
Sa réflexion
« Pour moi, c'est clair, c'est 100% garanti que ma santé est le reflet de ma vie, de toutes mes souffrances. La culpabilité c'est terrible, je ne peux pas lutter contre cela, et il y en a à tous les étages de ma vie. Quand j'étais enfant, je me culpabilisais de ne pas en faire assez, ensuite j'ai culpabilisé d'avoir épousé mon mari, d'avoir donné un tel père à mes enfants. J'ai beaucoup de culpabilité moi-même par rapport à mes enfants, beaucoup, beaucoup, beaucoup, j'ai donné trop d'argent, ce n'est pas cela dont ils avaient besoin, mais j'ai fait pour mes enfants ce qui n'a pas été fait pour moi. En fait j'ai rendu mes enfants dépendants du fait que j'assume tout, de mon 'faire', de mon efficacité, de ma ténacité, j'ai voulu être une battante contrairement à ma mère.
Je suis au centre de ce scénario de la responsabilité, la situation familiale est dégradée dans tous les sens, je ne vois plus mes frères et sœurs, guère mes parents et peu mes enfants. Ce qui a aussi été difficile dans ma vie est de ne pas avoir eu de vie de femme, mais toujours de femme mère, j'ai été bien sûr la mère de mes enfants, mais aussi la mère de mes frères et sœurs, la mère de mon mari. Tout cela a été trop lourd sur mes épaules. »