ISORE
Dossier médical
De 8 à 16 ans, bronchites asthmatiformes. A 18 ans, cancer de la thyroïde traité par thyroïdectomie totale et iode radioactif. A 20 ans, nouveau traitement à l'iode radioactif, radiothérapie, chimiothérapie. A 24 ans, naissance d'une fille par césarienne après insémination avec donneur, diagnostic de spondylarthrite ankylosante (maladie auto-immune) au 5^ème^ mois de grossesse. Recul du cancer de la thyroïde de 12 ans.
Sa vie
« Je suis la fille unique de mes parents, j'ai un demi-frère par mon père de 12 ans mon cadet. Mon père m'a dit qu'il l'avait fait pour que je vienne le voir puisque je ne voulais plus venir chez lui. Je considère aussi comme mon demi-frère un garçon, de 6 ans mon aîné, issu d'une première union de la copine de mon père.
Mon enfance s'est mal passée, mes parents sont du poison pour moi, il y avait de la violence entre mes parents dont j'étais témoin. Je revois une scène où mon père tapait sur ma mère avec une chaise. Ils se sont séparés quand j'avais 5 ans, une sorte de délivrance. Ils se sont bagarrés pour la garde que ma mère a obtenue. J'allais pendant les vacances et les week-ends chez mon père. Ma mère était restée une grande adolescente, elle avait du mal à assumer un enfant, elle ne m'a jamais donné de tendresse, elle me laissait seule toute la journée à 5 ans. Elle m'a dit récemment que c'était pour m'autonomiser car elle n'était pas sûre de pouvoir s'occuper de moi. Elle m'a d'ailleurs révélé qu'elle avait failli m'abandonner quand j'avais 3 mois. Nous avons eu des rapports très conflictuels toutes les deux. Ma mère avait de nombreux amants qu'elle ramenait à la maison, ou bien elle m'emmenait chez eux. J'étais témoin auditif de leurs ébats, elle me racontait ses fredaines : d'avoir eu 2 hommes dans la même soirée, d'avoir 4 ou 5 amants en même temps. Elle aimait les jeunes amants : à 40 ans elle avait des amants de 20 ans. Cela me dégoûtait, ces récits scabreux et aussi le fait qu'elle ne se respecte pas elle-même. Tout cela m'a beaucoup marquée. Puis elle a eu un copain plus régulier pendant un moment, alors elle me demandait de lui mentir pour couvrir ses infidélités. Elle ne m'a pas épaulée pendant mon cancer, elle n'est jamais venue me voir à l'hôpital. A mon accouchement non plus, elle n'était pas là.
Mon père est un drogué, alcoolique, addict aux médicaments, c'est un déchet de la société. Il est maniaco-dépressif. Il a fait 7 mois de prison quand j'avais 2 ans car il s'était battu et l'autre a eu des séquelles du combat. Quand j'étais enfant il m'envoyait des textos pour me prévenir qu'il allait se suicider, je lui répondais : 'Fais-le, bon débarras !' Une fois j'avais 5 ou 6 ans, il s'est ouvert les veines devant moi ; une autre fois il a fait un simulacre de pendaison devant moi aussi**. Il y avait beaucoup de violences morales, de manipulations et pour les violences physiques, je me pose des questions**. J'ai un souvenir précis, j'avais 6 ans, il m'a suspendue par le cou et m'a plaquée violemment contre le mur car j'avais osé dire à mes grands-parents qu'il préférait aller boire que de venir me chercher à l'école. J**'ai de sérieux doutes sur des violences sexuelles**. J'ai des souvenirs clairs de ses copains qui me caressaient les cuisses lors des soirées de beuverie, mais je ne revois pas le passage à l'acte ; pourtant, je pense avoir été violée par les copains de mon père. Mon père m'a raconté que mon petit frère, vers ses 11 ans, était venu à lui tout nu en lui disant : 'J'ai envie de toi.' Ce qui me semble tout à fait anormal et montre l'ambiance de la maison. Un de mes frères est alcoolique, l'autre a des comportements autistiques.
Pour ma part, j'ai des signes qui alimentent mes doutes sur un viol possible. J'ai eu des masturbations compulsives fréquentes dès 6 ou 7 ans. J'ai eu, dès l'adolescence, des phantasmes de viol, j'ai beaucoup de blocages pour ma sexualité. Au départ cela se passe bien puis je me bloque et deviens violente pour repousser mon ou ma partenaire. Dès qu'il y a excitation, cela devient intolérable, j'ai exceptionnellement vécu un rapport satisfaisant. A l'adolescence, je me suis automutilée, j'ai mis des coups de rasoir sur toute la longueur de mes jambes, j'ai envoyé un texto à ma mère pour le lui dire, elle n'a pas réagi. A 11 ans j'ai eu des douleurs aux hanches et aux 2 genoux qui m'obligeaient à me déplacer avec des béquilles ou en chaise roulante, peut-être les premiers signes de la spondylarthrite. A 14 ans j'ai pris 20 kg en 3 mois, je suis passée de 65 à 85 kg pour 1,55m. J'ai eu des phobies scolaires, des TOC de rangement, de perfection d'écriture. Je ne pouvais pas prendre de notes car il ne fallait aucune rature ou petite imperfection sur la page, sinon je devais tout recommencer. J'ai raté mon bac car je ne pouvais pas écrire alors que j'avais le niveau. J'en ai voulu à ma mère de ne pas avoir mis en place le nécessaire pour me soigner, mais elle était dans le déni.
L'été de mes 17 ans, j'ai travaillé dans une colonie d'handicapés mentaux. On ne m'a pas jugée pour mon incapacité à écrire. J'ai pu être efficace, j'ai pris conscience de mon autonomie, de ma valeur, j'étais douée pour ce travail. J'ai trouvé une place alors que je n'avais pas de place chez moi. Les TOC, les douleurs des hanches, des genoux se sont arrêtées net, ainsi que les bronchites asthmatiformes. Je suis partie de chez moi après cette étape avec une casserole, une assiette et une fourchette. Je pense que ce départ m'a sauvé la vie.
A 18 ans, j'ai eu mon cancer de la thyroïde dont on ne m'a pas caché le sombre pronostic. Je me suis préparée à une issue fatale, j'ai fait adopter mes 2 chats. Le traitement s'est étalé sur plusieurs années et j'ai eu droit à de la chimiothérapie car l'iode radioactif n'était pas suffisant.
J'ai eu une relation hétérosexuelle pendant 8 ans, je voulais un enfant, lui n'était pas prêt, nous nous sommes séparés. Depuis 2 ans j'ai une relation homosexuelle, nous avons décidé une insémination avec donneur qui a fonctionné. Dès 4 mois de grossesse, j'ai commencé à avoir des lombalgies et des sciatalgies bilatérales, à tel point que je ne pouvais plus marcher, j'étais obligée de me déplacer en fauteuil roulant. Le diagnostic de spondylarthrite a été fait au second trimestre de la grossesse. »
Sa réflexion
« L'évènement le plus difficile de ma vie est ce viol dont je ne me souviens pas, alors que j'ai failli mourir d'un cancer. Les évènements les plus heureux sont la naissance de ma fille, mon travail dans la colonie l'été de mes 17 ans et mon cancer. Ce séjour et le cancer m'ont aidée à prendre mes distances avec mon père que, malgré tout, j'épaulais. Je me suis séparée de lui et j'ai pu continuer ma route au prix de l'abandon de mon petit frère et de l'aîné que j'aidais également. Ceci a engendré une forte culpabilité, d'autant plus que je sais qu'ils ne vont pas bien. Mes maladies me servent à être respectable, méritante, cela me donne une valeur. Ma cicatrice de thyroïdectomie j'en suis fière ; comme elle est chéloïde, on m'a proposé de la refaire, je ne veux pas. Quand j'ai eu mes béquilles, cela m'a donné une place à part, avec un côté méritant, une plus grande valeur, en opposition avec mon père qui a bossé 6 mois dans toute sa vie. La reconnaissance, la place que mes maladies me donnent, je me suis construite dessus. Toutes mes maladies m'ont renforcée, j'aurais pu sombrer, elles m'ont aidée à devenir ce que je suis devenue, elles sont le socle sur lequel j'ai pu me construire.
Mes parents ont fait ce qu'ils ont pu. Je pense qu'ils m'ont aimée, mais pas de la façon que j'aurais voulue. Je suis contente de ce que je suis car je suis l'inverse d'eux, c'est ma fierté. Je ne regrette pas mon enfance, c'est ce qui a fait ce que je suis aujourd'hui, ce qui m'a donné la soif de vivre, la rage de me débrouiller seule engendrée par l'attitude de ma mère. Je ne vois plus mes parents, je n'ai plus de famille. Je me marie en septembre prochain avec ma compagne, mes parents ne sont pas invités. »