PHEDRE
Dossier médical
A 21 et 27 ans, naissance d'une fille. A 44 ans chirurgie pour blessure accidentelle d'une artère fémorale. A 58 ans, cancer du sein : tumorectomie, radiothérapie, chimiothérapie. Recul 15 ans.
Sa vie
« J'ai eu une enfance difficile qui m'a beaucoup fragilisée, bien que je sois d'un milieu bourgeois. J'étais l'aînée d'une fratrie de cinq enfants. Mon père voyageait beaucoup. Mes parents ont passé leur vie à se disputer, à se tromper, mon père trompait ma mère qui le trompait pour se venger. J'étais la confidente des deux, ils me prenaient à témoin. Ils me faisaient participer à leurs disputes et ils se disputaient sans cesse. Ma mère s'enfermait dans la salle de bains, puis souvent elle tombait dans les pommes, il fallait casser la porte. Parfois mon père allait dormir à la cave et moi je servais de facteur entre les deux, c'est toujours moi que mon père appelait quand il y avait un problème. Parfois ma mère partait la nuit après une dispute et c'est moi qui allais la chercher. Une fois elle m'a expliqué que le coup de fil qu'elle venait de recevoir était de son amant, elle m'a dit que c'était à cause de la conduite de mon père qu'elle avait des amants. Elle me racontait que mon père était éjaculateur précoce, que cela lui posait un problème à elle qui était sensuelle. Ils ont fait chacun une dépression que j'ai eue à gérer étant l'aînée. Ma mère à deux reprises après des crises de disputes a fait une paralysie faciale spontanément régressive en quelques semaines. Mon chagrin de petite fille d'être témoin de tout cela a été énorme.
L'amoureux de mes vingt ans est parti. J'ai eu un rapport avec un autre homme et j'ai été enceinte ; moi je voulais avorter mais je l'ai épousé. Ma mère m'a proposé de garder l'enfant et de dire qu'il était à elle. Ma grossesse a été difficile parce que je n'en voulais pas de cet enfant. J'ai fait beaucoup de cheval pour le perdre, je me suis jetée volontairement une machine à coudre sur le ventre. J'avais très peur d'être maman à cause de la responsabilité que représente un enfant. J'avais trop peur, peur de ne pas être à la hauteur, de faire comme mes parents. Après la naissance j'ai fait une grave dépression. La naissance de ma fille m'a enfermée définitivement dans une vie dont je ne voulais pas : l'abandon de mon métier, la responsabilité énorme de mon statut de maman à 20 ans, mon mariage avec son père auquel elle m'a liée définitivement. Je me suis repliée sur moi-même. J'ai eu à partir de cette période des peurs importantes et importunes, je suis devenue claustrophobe. Je ne pouvais plus prendre le train, le métro, l'avion, l'ascenseur. J'avais vraiment trop peur, je pensais que les adultes n'ont pas le droit de faire participer les enfants à leurs souffrances, le schéma de mes parents était présent et menaçant. Pourtant, après l'accouchement j'ai accepté ma fille et je l'ai aimée. J'ai adoré mes enfants, ils sont ma raison de vivre.
A 44 ans, j'ai eu un accident, je suis passée à travers une baie vitrée. J'ai cru que je mourais, j'ai eu une blessure de l'artère fémorale et du nerf. Les médecins ont pensé dans un premier temps ne pas pouvoir éviter une amputation mais j'ai pu garder ma jambe. Mon mari m'a aidée à tenir la tête hors de l'eau, car je voulais y aller moi au fond de l'eau. Tout cela a été une opportunité pour lui qui a acquis de l'emprise sur moi.
Mon mari fait des colères terribles, excessives, contre les enfants, contre moi. Il y a une violence, gestuelle dans ses colères, verbale avec des cris, des scènes atroces : il peut secouer les enfants brutalement sans les battre réellement. Il m'a agressée physiquement plusieurs fois. J'ai essayé à plusieurs reprises de m'en aller, il me rattrapait. Quand j'ai eu 56 ans, dans une scène terrible, il a donné une fessée retentissante à notre petite-fille qui en a gardé la marque jusqu'au lendemain, date de retour de ses parents. Ils ont dit qu'ils ne nous donneraient plus l'enfant à garder quand ils n'étaient pas là. Puis un an plus tard, il y a eu une rupture totale dans ma vie, une scène terrible de violences verbales avec hurlements, échanges d'objets jetés à la figure entre mon mari et notre fille. Cette violence m'est intolérable. Depuis je ne vois presque plus mes enfants qui ne veulent plus venir à la maison. Cela m'est insupportable. Cet épisode de vie, c'est comme si un immeuble de 15 étages s'était effondré sur moi, cela a été une fracture dans ma vie. Mon cancer, il est là. Il a été diagnostiqué à la fin de l'année suivante. »
Sa réflexion
« Quand vous m'avez annoncé ce cancer, je n'ai pas été surprise, c'était pour moi la solution. Il me fallait une façon de mourir, une façon de partir. J'aurais pu me tirer une balle dans la tête, mais il en fallait le courage et puis je ne voulais pas culpabiliser mon entourage ; j'étais sapée, complètement ébranlée. En même temps je me disais : 'Il ne faut pas que tu te tues', le cancer a été une façon discrète de me tuer, c'est passé inaperçu, cela a paru naturel puisque ma mère avait eu un cancer du sein. Pour moi, ma maladie a été provoquée par des évènements familiaux qui m'ont fusillée, qui m'ont minée. Le corps se venge, il a fait ce que ma tête commandait et que je ne faisais pas. Ce cancer n'est pas arrivé par hasard, c'est évident pour moi. Je ne voulais plus me battre, j'ai failli couler ; heureusement, j'ai été soutenue par mon entourage, par le corps médical.
La souffrance de ma vie est la violence. A deux reprises j'ai voulu dire à mon entourage que je ne pouvais plus vivre, que la vie était trop difficile : à 44 ans lors de mon accident et à 58 ans lors de mon cancer.»