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AGANICE

Dossier médical

Endométriose profonde avec localisation digestive diagnostiquée à 37 ans.

Sa vie

« Je suis la dernière d'une fratrie de 3 enfants. J'ai un demi-frère par ma mère de 4 ans mon aîné et une sœur qui a deux ans de plus que moi. Ma vie commence de façon non conventionnelle. Ma mère épouse un premier mari, ils vivent au Moyen Orient, ils n'arrivent pas à avoir d'enfant et adoptent un petit garçon. Ils déménagent en Afrique où ma mère rencontre un autre homme, elle est enceinte, ils partent ensemble en Amérique où naîtra ma sœur. Ils reviennent en France où je nais 2 ans plus tard. On est en Afrique avec un enfant, en Amérique avec un autre, en France avec un troisième. Mon père a clairement dit à ma sœur qu'elle n'était pas prévue, il lui en a fait le reproche en formulant que sans elle il n'en serait pas là. Mon père était bipolaire, maniaco-dépressif, alcoolique chronique. Ma mère, mon frère, ma sœur et moi avons été aidants pour lui, aide psychologique, ménagère, alimentaire, soignante. Il a fait une cirrhose, plusieurs delirium tremens, cela a été la catastrophe, une déchéance qui n'en finissait pas, cela a été atroce. Je suis allée plusieurs fois le ramasser dans la rue et les pompiers sont venus le chercher un nombre incalculable de fois, chez lui, au tabac, au café, dans la rue. Il a perdu son travail, les médecins ne voulaient plus le voir, les hôpitaux non plus. A 30 ans je faisais des allers-retours à l'EPHAD car on m'appelait quand il faisait des crises de démence. Je ne lâchais pas mon téléphone je me sentais responsable du devoir d'assistance qui planait sur cette famille et sur moi. J'étais malheureuse. Cette tension d'un coup de téléphone pour une mauvaise nouvelle a créé la peur qui est l'émotion la plus difficile pour moi. Quand mon père est mort d'une démence alcoolique, j'ai eu un soulagement immédiat, j'avais 32 ans, je l'avais accompagné jusqu'au bout. Mon père c'était une montagne de trucs atroces qui enterrent tout le reste. Surtout qu'il n'a jamais dit merci, jamais il nous a dit : merci d'être là. Je sais qu'il a eu une enfance difficile avec un père militaire très dur et une mère à l'identique. Je sais aussi qu'il a été marié pendant plusieurs années avant de rencontrer ma mère, mais je ne sais pas pourquoi il s'est séparé de sa première femme.

Il y avait de la violence verbale entre mes parents et nous les enfants étions pris à témoin. Je pense que mon père aimait profondément ma mère, qu'il était très en demande de tendresse, d'affection qu'elle ne lui accordait pas. Il allait les chercher ailleurs, il partait plusieurs mois, une fois une année entière et il revenait. Nous avons parfois envoyé des messages à une de ses amoureuses. Je me souviens de l'un d'entre eux : que le diable t'emporte et te couvre de crottes.

Ma mère a fui la maison, elle se réfugiait dans le travail qui était sa passion, elle était très intéressée par son métier qui était un lieu de pouvoir. Elle était très absente, elle rentrait tard, travaillait le week-end, elle se disait disponible mais ne nous entendait pas. Ma mère nous a élevés, elle a fait son devoir, a fait le job, mais elle ne nous accordait pas d'attention, elle ne nous touchait pas, je suis très blessée par son manque de tendresse, j'en souffre encore. Elle a fait le minimum syndical. Je souffre beaucoup de ma relation avec elle. Elle avait peu d'appétit pour la compréhension, elle a toujours détesté les psy, il n'y avait pas de place pour les émotions. La culture familiale, c'était : on ne pleure pas, on ne souffre pas, on ne montre rien à l'extérieur, on encaisse en silence. Une seule fois je l'ai vue pleurer, j'avais 8 ans, j'ai été bouleversée. Je sais qu'elle était l'aînée de sa fratrie qu'elle a été mise en pension à 6 ans. Elle m'a révélé que c'était mieux pour elle d'être en pension qu'avec sa mère qui était très dure. Elle a perdu son père à 17 ans, elle a eu une vie de solitude mais on ne se plaint pas, on n'a jamais mal.

Dans cette maison il y avait trop de sexe, c'était obsédant, cela me dérangeait. Un jour, je devais avoir une douzaine d'années, j'ai surpris mon frère en train de regarder une vidéo de mon père et ma mère se filmant lors d'un rapport. Cette image de mes parents sur la vidéo est coincée dans ma mémoire. Mon frère je l'ai entendu faire l'amour avec une de ses copines, avec mon père à côté dans la maison et cela s'est passé au moment-même où j'ai appris la mort de mon grand-père, j'ai hurlé. Pour ma part, ma sœur et moi avons simulé un rapport, j'y ai pris du plaisir et je ne m'en remets pas, j'avais autour de 7 ans. C'est la première fois que je parle de cela. Pour mon père le sexe a toujours été important. Il passait pas mal de temps seul dans sa chambre, il regardait des films pornos, je l'entendais se masturber. Je n'aimais pas ce regard sexué qu'il posait parfois sur moi, il me disait que j'aurais dû être mannequin. Ce n'était pas à lui de suggérer cela, c'était déplacé. Cette irruption dans la sexualité individuelle m'a beaucoup gênée. Je n'en voyais pas l'intérêt, ce n'était pas la promesse de quelque chose de positif. J'ai beaucoup de mal à m'intéresser aux hommes, très peu de libido.

J'ai eu mes premières règles à 14 ans. On a très vite été fâchées les règles et moi. Elles ont tout de suite été douloureuses et à la maison on n'avait pas trop le droit de se plaindre. Ma mère a dit le minimum pour les explications. A ce moment j'ai entrevu un film d'horreur dans lequel une jeune fille avait ses premières règles à la piscine qui devenait toute rouge avec des flots de sang, ces images sont gravées dans ma mémoire. Je me suis dit que c'était honteux d'avoir ses règles, que ce n'était pas un bon moment de la vie de jeune fille. Et j'ai toujours détesté mes règles, elles ont continué à être douloureuses. J'ai pris la pilule pour régler le problème mais il n'a pas été réglé. J'ai expérimenté la douleur comme jamais je pensais que je l'expérimenterais, jusqu'à ce que l'on supprime mes règles. Elles sont revenues douloureuses quand j'ai arrêté le traitement et s'y sont ajoutées des douleurs en dehors des règles, alors tout mon corps se met à hurler et je compte les jours où je n'ai pas de douleur. A 37 ans a été fait le diagnostic d'endométriose et j'ai un nouveau traitement qui a fait disparaître les douleurs.

J'ai eu mon premier rapport sexuel à 23 ans qui s'est bien passé. Je suis restée 2 ans avec lui et nous nous sommes séparés car il avait un désir sexuel que je ne pouvais pas combler, il était toujours en demande, j'avais l'impression de ne servir qu'à cela. Une nuit je me suis réveillée et il m'avait déjà pénétrée ! Un rapport doit se faire à deux ! Sur le coup je n'ai pas été présente à ce rapport. Ce souvenir est un peu flou, je n'en suis pas sûre. Ensuite vers 25 ans, j'ai eu plusieurs partenaires d'un soir et j'ai saigné à chaque fois. Pour moi cela voulait dire que je m'étais mise dans une situation dans laquelle je n'étais pas claire, pas sûre de mon souhait, ce qui était le cas. Avec le troisième en tout cas, je n'avais pas du tout envie, j'avais beaucoup bu. En fait ce sont des relations que je n'ai pas désirées. Peut-être n'ai-je pas été assez forte pour m'entendre moi-même, je n'ai pas pris le temps de m'écouter. Ce sont des hommes qui ne m'ont pas fait du bien. L'un d'eux m'a même menacée, j'ai dû aller chercher de l'aide. Ensuite j'ai eu une relation qui a duré 4 années, une fois j'ai dit non, mais il n'a pas entendu. Je m'en veux de ne pas l'avoir dit assez clairement. Pourtant avec ce compagnon les rapports se sont bien passés, il était très attentif. Il n'a pas de souvenir de ce rapport pour lequel j'avais dit non alors que pour moi, il est resté dans ma mémoire. Ce compagnon avait subi une tentative d'attouchement. Nous nous sommes séparés, en partie car il a formulé qu'il ne voulait pas d'enfant. Moi je ne me suis jamais projetée dans une maternité et longtemps j'ai pensé que je ne voulais pas d'enfant, malgré tout je veux que cela reste ouvert. Quand je vois que ma grand-mère a envoyé tous ses enfants en pension, que ma mère s'est mise elle-même 'en pension' avec son travail si prenant, je doute ; pourtant j'ai beaucoup d'amour à donner.

Il y a des choses non dites qui pèsent sur la famille. On ne sait pas pourquoi ma mère a quitté son premier mari qui a continué à être très proche de la famille. Il était drôle, cultivé attentif avec nous, il était là aux Noëls, aux anniversaires, ce qui était très difficile pour mon père qui était blessé par cette présence trop encombrante. C'est à nous les enfants qu'il exprimait sa gêne, son incompréhension, en fait il réglait ses comptes avec les mauvaises personnes, par notre intermédiaire, on servait d'exutoire. Il nous disait des choses qu'il n'avait pas à nous dire, des reproches à notre mère qu'il n'avait pas à nous partager. Ce premier mari de ma mère est mort quand j'avais 17 ans du Sida, ma cousine m'a dit qu'il était homosexuel, moi je savais juste qu'il partageait son appartement avec un homme. J'ai appris un jour qu'il ne donnait pas à ma mère ce qu'elle attendait. De tout cela ma mère ne parle pas, c'est mis sous cloche. Ma mère était d'un milieu bourgeois, catholique dans lequel on ne divorce pas. Dans cette famille la route est tracée, on ne reste pas célibataire, on se marie, on a des enfants. Le premier mari de ma mère était un OVNI dans ce milieu très coincé dans lequel tout le monde a peur de ce que pensent les autres. Je ne suis pas allée à son enterrement car on ne m'a pas prévenue. Cela a été très difficile pour moi d'apprendre les choses par des tierces personnes. Par exemple j'ai appris à 12 ans que mes parents se sont mariés seulement quand j'avais un an et ma sœur 3. Toutes ces choses dont j'aimerais discuter avec ma mère pour qu'elle m'éclaire, sont très difficiles et en parler sera de plus en plus laborieux car elle décline vite, elle est parfois désorientée. »

Sa réflexion

« J'ai une immense colère à 10/10 contre toute ma famille par rapport à ce qu'on a dû endurer avec mon père. Je suis consciente de la dangerosité de cette colère pour moi-même. Je dois affronter cette colère, pour arrêter de végéter et pour grandir. J'ai fait un rêve de poursuite de ma sœur qui est partie un an au Canada pour ses études me laissant seule avec mon père étant donné que mon frère plus grand était déjà parti et que ma mère était le plus souvent absente de la maison. Je me suis sentie abandonnée par ma sœur. Tout cela était 10 fois trop lourd pour moi, je n'étais pas à ma place. On ne m'a jamais demandé si j'acceptais de changer mon père quand il se faisait dessus, si je voulais bien lui tenir la langue quand il faisait un delirium, l'emmener à l'hôpital. Quand j'en passais la porte, je sentais dans mon corps tous mes organes qui voulaient sortir, j'avais immédiatement la diarrhée. A l'hôpital, ils ne voulaient plus le voir, ils me disaient qu'il était mon père et que je devais m'en occuper, ma mère a d'ailleurs confirmé que légalement les enfants doivent assistance aux parents. On m'intimait de lui acheter de l'alcool pour lui éviter le manque et d'autres crises de delirium. Ces évènements qui ont jalonné la vie de mon père sont les évènements les plus difficiles de ma vie : les delirium quand il convulsait à terre, les pompiers qui venaient le chercher, les dires des médecins comme quoi je devais m'en occuper. Je me pose la question de cette assistance, des bénéfices-risques. Est-ce que j'aurais pu vivre sans aider mon père ? Aurait-il été préférable d'abandonner un membre de la famille pour en sauver 4 ? Laisser un père demande une grande force, c'est un combat avec soi-même. Mais je pense que moi en tant qu'épouse, j'aurais envisagé de me séparer pour protéger mes enfants. J'en veux à ma mère de ne pas avoir divorcé plus tôt, elle l'a fait à mes 23 ans. Ma mère m'a servi que c'était pour 'garder un papa' et un statut social dans une banlieue où tout est su. Et puis je pense que ma mère ne pouvait pas envisager de divorcer une seconde fois. A l'église les divorcés n'avaient pas le droit de communier et cela se voit. Ma mère a été une excellente professionnelle, pour le reste elle n'est pas douée pour aimer ni ses enfants, ni son mari. J'ai eu avec elle une relation très conflictuelle, je lui ai écrit, j'ai proposé une thérapie familiale, mais il n'y a aucune place pour les émotions. Dans sa vie, elle a réussi à mettre en œuvre des moyens pour tenir dans sa situation difficile, mais elle ne s'est pas préoccupée de savoir si nous les enfants en avions les moyens. J'ai une colère contre elle à 10/10, cette colère me nuit énormément. J'aimerais qu'on fasse des choses ensemble, qu'elle me prenne dans ses bras sans avoir peur. Elle a fait ce qu'elle a pu, elle nous a soutenus inconditionnellement dans nos projets, nous a ouverts à une certaine curiosité, à la culture, aux mondanités et elle sait être grand-mère.

Je me sens dépositaire de l'histoire familiale, je ne peux pas ressortir indemne de mon passé. J'ai été très exigeante envers moi-même, je peux m'accorder une plus grande douceur. Mon endométriose fait sens, elle pourrait être la traduction de ce que je n'ai pas pris soin de faire pour moi. Grâce à elle, au diagnostic posé et à mes deux burn out, j'ai un profond désir de m'en sortir. Ce centre d'endométriose est très précieux, tous les différents professionnels que ce service propose sont de véritables étais**. Ils m'ont donné l'occasion de questionner ma vie, j'ai l'impression d'avancer 1000 fois plus vite**. Je me sens chanceuse d'avoir maintenant le diagnostic et de rencontrer des professionnels qui me permettent d'avancer vite sur ce chemin. »

Une semaine plus tard au téléphone : « J'étais dans une grande solitude. J'ai été étonnée de la facilité avec laquelle, pendant l'entretien, j'ai pu dérouler tout d'une traite mon histoire et la mettre dans les mains d'une autre personne que moi-même. Après l'entretien j'ai vu ma sœur et nous avons échangé, ce qui a été très instructif. J'ai compris qu'elle n'avait pas la même vision de notre enfance que moi, elle a gardé de la distance. Cela a ébranlé certaines de mes convictions, notamment le fait de penser que le sort s'acharnait sur moi. Je me suis interrogée, peut-être ai-je grossi les traits, retenu seulement ce qui avait été difficile, peut-être ai-je été malhonnête avec les faits ? J'ai pris conscience qu'il était possible de faire autrement. Cette prise de conscience m'ouvre un champ du possible. Cela questionne ma colère que je peux dans un premier temps légitimer pour ensuite réaliser qu'il est possible de m'en libérer. Ma sœur m'a dit qu'elle a travaillé pour en arriver là, elle a consulté des thérapeutes. Cette chance je peux l'avoir moi aussi. L'entretien, les rencontres avec ma thérapeute et ma rencontre avec ma sœur m'ont permis de sortir de ma solitude. »

Tous les noms propres ont été anonymisés.