GIACOMINA
Dossier médical
Cauchemars récurrents dès la petite enfance. A 4 ans début d'asthme. A 6 ans diagnostic de scoliose, corset, plâtre. A12 ans premières règles très douloureuses avec malaises. A 15 ans, anorexie pendant 3 années, crises de spasmophilie. A 28 ans chirurgie de scoliose. A 25 ans cystites à répétition, 2 pyélonéphrites. A 34 ans diagnostic d'endométriose.
Sa vie
« Je suis la seconde d'une fratrie de 2 filles, ma sœur a 3 ans de plus que moi. On m'a dit que j'étais une enfant désirée, mais pour mon père je ne le pense pas, pour lui c'était juste pour l'image. J'ai eu l'amour et la tendresse de ma mère, elle était un bon équilibre entre son travail et ses enfants, j'avais aussi mes grands-parents maternels qui habitaient à proximité et il y avait beaucoup d'amour, ainsi que chez mes oncles et mes cousins. Par contre mon père et ma mère sont deux colocataires, je ne les ai jamais vus se toucher, s'embrasser, juste une bise pour noël. Je pense que ma mère avait peur de mon père, une peur qui s'est créée petit à petit. Mon père était très dur, il y avait de la violence verbale et physique, je pouvais recevoir un coup de coude, ou bien me faire attraper par le bras et jetée à terre, ma relation à lui a été très compliquée. Vis-à-vis de ma sœur aussi il y avait de la violence, même si ma sœur est aujourd'hui dans le déni, mais moi j'ai été témoin. Il exerçait de la violence sur nous quand notre mère n'était pas là car elle ne l'aurait pas accepté alors qu'elle l'acceptait pour elle ! Si elle s'était opposée à lui, ....je ne sais pas (émotion). Toujours il nous rabaissait, ses filles, sa femme. Ma sœur ne disait rien, mais moi je me suis opposée dès que j'ai pu. Parfois mon instinct de survie m'arrêtait, il m'est arrivé de me dire que j'allais y passer. J'avais peur pour ma mère et pour ma sœur plus que pour moi-même, alors parfois je me taisais pour ne pas les mettre en danger. Quand mon père était là, ce n'était pas une vie normale, il y avait une grande tension, je ne me sentais pas en sécurité. Toute petite j'avais des problèmes de sommeil et je faisais souvent des terreurs nocturnes, avec toujours le même scénario, j'étais en danger de mort, parfois par l'intermédiaire des nazis qui voulaient me fusiller. Au collège quand je rentrais à la maison le soir, le plus souvent je ne voyais pas mon père qui rentrait plus tard, mais le vendredi soir il m'arrivait de faire une crise de spasmophilie à cause du week-end qui arrivait, je rêvais alors d'être pensionnaire. J'avais de la colère contre lui, une colère à 9,9/10 au point de souhaiter qu'il disparaisse. J'ai souhaité sa mort, c'est horrible de vouloir la mort de son père. Il conduisait comme un dingue et je me souviens que j'avais peur quand il y avait ma mère, ma sœur dans la voiture mais quand j'étais seule avec lui j'espérais qu'on ait un accident et qu'on disparaisse tous les deux pour que les autres soient en sécurité. J'ai vécu dans la peur toute mon enfance, j'avais la chance qu'il passe beaucoup de temps au travail, en dehors de sa famille, comme une fuite. Il est très social et les gens ne peuvent pas s'imaginer comment il est dans le privé, cela aussi me met en colère. Je sais que mon père a perdu son propre père à 18 ans, je sais aussi que ses parents l'ont envoyé dans une école de curés et qu'il y a eu de la violence physique et ... peut-être autre chose, mais c'est un sujet tabou dont on ne doit pas parler. Je suis sûre que cela a joué sur la personne qu'il est devenu. Cela m'apporte une explication. Depuis quelques années, mon père s'est un peu calmé, ma mère a réussi un peu à s'opposer et il voit qu'il n'a pas tout le contrôle. Je suis partie de chez moi à 19 ans pour m'éloigner de la maison.
J'ai eu mes premières règles à 12 ans. Alors que mes copines étaient contentes, pour moi cela a été la déception, j'ai rejeté cet emblème du féminin, comme si j'y perdais ma liberté. A 15 ans j'ai fait une anorexie, j'ai pesé 32 kg pour mes 1,55m, mes règles ont disparu, ce qui m'a bien plu. A 6 ans on m'a diagnostiqué une scoliose et j'ai été suivie au départ tous les 3 mois puis d'une façon un peu plus espacée jusqu'à 18 ans par un médecin orthopédiste... A chaque fois ce médecin me touchait, il me touchait les seins, entre les jambes, toujours d'une manière ambigüe. Il se mettait derrière moi, me faisait pencher en avant, me demandait d'enlever ma culotte, il la rebaissait si je la remontais et il me touchait entre les jambes. Je ne savais pas si c'était normal, et ma maman était là au début mais elle ne voyait pas ce qui se passait. Il m'emmenait lui-même faire les radios et je pense que le radiologue sentait que quelque chose n'était pas normal car il me disait de baisser mon slip alors que le radiologue disait que cela n'était pas nécessaire. Avec sa secrétaire aussi on sentait un truc malsain. Je me sentais tellement mal, dès que j'y pensais j'avais du dégoût, cela m'empêchait de m'endormir le soir. J'étais dans un gros stress les semaines qui précédaient les rendez-vous. Ce médecin a quitté son poste brutalement, et quand on a posé la question du pourquoi on a senti un gros malaise. Une des dernières fois où je l'ai vu, j'étais dans ma période d'anorexie, il m'a dit que je ne ressemblais à rien, que je le répugnais, il m'a gueulé dessus. Je n'avais parlé à personne de tout cela, je me disais que je devais mal interpréter ses gestes et aussi je me demandais qui pourrait me croire, il était médecin ! J'en ai parlé pour la première fois à 21 ans à mon copain car les rapports se passaient mal. Mon premier rapport, je l'ai eu à 18 ans, il s'est mal passé, n'a pas été complet, c'était trop dur. J'ai attendu un an pour une nouvelle tentative mais la pénétration a été impossible, j'avais même envie de frapper le garçon. Une autre tentative un an plus tard s'est aussi soldée par un échec. A 20 ans j'ai eu une relation pendant 4 ans, j'étais bien avec lui, j'ai pu lui dire et en parler pour la première fois, mais je n'ai pas été très honnête avec lui car je ne disais pas que les rapports ne me convenaient pas, qu'ils étaient douloureux, je me forçais. Pendant les rapports, je revoyais le visage du médecin, il fallait que je prenne sur moi. J'avais arrêté de consulter pour ma scoliose après le départ de l'orthopédiste car j'avais peur de consulter de nouveau. Mais comme elle s'aggravait j'ai repris un RV avec un autre orthopédiste qui a brossé un horrible tableau de mon esthétique si je ne me faisais pas opérer de ma scoliose. Il m'a dit devant mon copain qui était là : je ne pense pas que cela lui fasse plaisir d'avoir une femme avec une telle esthétique dans son lit ! Mon copain a été très choqué et moi j'ai refusé de consulter de nouveau jusqu'à ce que la scoliose s'aggrave davantage encore et m'oblige à me faire opérer à 28 ans.
A l'occasion de la difficulté du décès de ma grand-mère qui m'a beaucoup touché j'ai eu sexuellement un gros blocage et la pénétration est devenue impossible. Mon copain l'a accepté, mais les violences ont commencé et une nuit, il m'a forcée, j'ai eu très peur lors de ce rapport, c'est comme si j'avais été au-dessus de la scène. Je me suis dit que ce rapport forcé, c'était de ma faute car je ne lui apportais pas satisfaction. Je me suis mise à avoir peur de lui, j'avais l'impression de revoir mon père et j'ai rompu la relation. Après ces violences, j'ai pensé au suicide, parfois en voiture je me suis demandé si je n'allais pas foncer dans un mur. J'ai vu un psychologue pendant 3 ans et seulement après 2 ans j'ai pu lui parler de ce qui m'était arrivé, il m'a beaucoup aidée, même si je ne lui ai pas dit le dixième de ce que j'ai dit aujourd'hui, mais je pense que si je ne l'avais pas consulté je n'aurais pas pu dire tout cela aujourd'hui. A 25 ans j'ai eu une nouvelle relation, elle a duré 2 ans, mais les rapports se sont mal passés, à chaque fois je revoyais la tête du médecin, revivais sa violence et puis la violence de mon précédent compagnon. Depuis : rien, enfin si, 2 copains mais cela ne l'a pas fait. Le dernier connaissait mon ex qui m'avait forcée à avoir un rapport et à l'occasion d'une fête alcoolisée ils ont reparlé de moi, de mes blocages, celui qui m'a forcée a raconté cet épisode à sa sauce en disant que j'étais folle. Quand je l'ai appris par une tierce personne, cela a été une violence supplémentaire car j'en ai pris plein mon grade au sujet de mon intimité.
Quand j'ai été opérée de mon dos, de ma scoliose, tout est remonté, j'ai pété un câble, les infirmières ont dit que je délirais complètement, l'une d'elle a dit : vous êtes en sécurité, il n'y a que des médecins ! En fait je n'avais pas du tout peur de l'intervention, mais de l'anesthésie générale qui fait perdre le contrôle et j'avais peur car alors tout le monde pouvait abuser de moi. Je me suis sentie tellement vulnérable ! »
Sa réflexion
« Tout cela n'est pas bien clair dans ma tête, petite je me demandais si c'était normal, je me suis longtemps dit que c'était moi qui me faisais des films et je me pose encore des questions. Mais à qui j'aurais pu en parler ? Il était médecin, qui aurait pu me croire ? Je m'en veux que cela me touche autant car il n'y a pas eu viol, peut-être j'ai mal interprété ses gestes ! Je m'en veux de ne pas avoir réagi durant toutes ces consultations avec l'orthopédiste, j'ai une colère de cela, une culpabilité à 9/10 parce que si, petite je me demandais si c'était normal, maintenant je sais quand même que non. Et puis il y a toujours la peur même si elle est moins forte. J'ai encore du mal à me poser en victime, même pour le rapport forcé avec mon copain je me dis que c'est de ma faute. Avec l'entretien, le fait que vous confirmez que les gestes de l'orthopédiste n'étaient pas normaux, qu'un rapport forcé, même avec son copain n'est pas normal non plus et les explications sur la physiologie, les conséquences des traumatismes, j'accepte mieux le statut de victime et je comprends mieux pourquoi je n'ai pas pu en parler, je vais pouvoir mieux intégrer que j'ai été victime d'un pédophile.
Quand j'ai eu des problèmes de vessie, j'ai eu une cystoscopie, examen qui était problématique pour moi, j'ai décidé et réussi malgré la difficulté à dire à une infirmière ce qui s'était passé avec l'orthopédiste, et elle m'a répondu : non ce n'est pas possible dans le milieu médical ! Aussi quand j'ai dit au chirurgien gynécologue que l'examen gynécologique n'allait pas être possible à cause de cet abus dans le milieu médical et qu'il m'a crue, qu'il m'a prise au sérieux, cela m'a fait tellement de bien ! J'appréhendais tellement de parler de cette histoire, j'avais tellement peur de le dire et qu'il ne me croit pas ! Et il m'a prise au sérieux ! Il est très ouvert, cela s'est très bien passé. Il ne m'a pas jugée non plus quand je lui ai expliqué que les traitements hormonaux me sont très difficiles, par contre que si on doit m'enlever l'utérus et les ovaires pour faire disparaître les douleurs, c'est OK pour moi. Je ne veux pas d'enfant, je suis très bien célibataire, je ne me vois pas en couple, je ne veux pas être en couple car en plus du problème des rapports, je me sens prisonnière. Cela fait tellement de bien de se sentir prise au sérieux par les médecins.
Je pense qu'il peut y avoir un lien entre le physique et le psychisme. Si l'endométriose est une partie de la féminité qui s'égare, ne trouve pas sa place, cela prend tout son sens ! »
Au téléphone une semaine après l'entretien :
« J'avoue que l'entretien m'a remuée. Dans les jours qui ont suivi je ne me suis pas sentie bien car j'ai compris que, contrairement à ce que je croyais, le problème n'était pas réglé, sinon cela ne m'aurait pas autant touchée. J'ai pris conscience que j'évitais tout ce qui me mettait en lien avec ce problème, par exemple certaines sensations physiques, les rapports sexuels pour lesquels je me suis toujours forcée, et puis j'ai recommencé à me laver sans arrêt comme avant.
En même temps cet entretien m'a fait énormément de bien, le fait d'avoir été comprise, non jugée. Ma culpabilité, ma colère sont passées de 9 à 4/10. J'ai réfléchi à cette difficulté de me poser en victime. J'ai toujours minimisé les évènements qui me sont arrivés alors que je les conçois comme terribles si je les imagine pour d'autres, c'est comme si ma vie n'avait pas de valeur, comme s'il fallait subir et se taire comme mon père me l'a appris, comme si ce n'était pas mon histoire. L'entretien m'a fait avancer sur l'acceptation du statut de victime. Je sais maintenant qu'il faut que je fasse quelque chose, je vais consulter un psychologue, le fait d'en avoir discuté avec des médecins, c'est énorme.
Si on envisage l'endométriose en symbolique, je pense qu'elle symbolise mon rejet de la féminité car je confirme que je ne me sens pas femme, je n'ai jamais accepté ma féminité, c'est trop dangereux. J'ai eu l'impression que mon corps était un objet qu'on avait le droit de toucher, qu'on mesurait sans cesse. Je n'ai pas du tout envie qu'on ait du désir pour moi. Je pense que mon anorexie était une réaction de mon corps à cela, je me sentais plus forte dans ce corps amaigri, non désirable, d'ailleurs lors de cette consultation où j'avais beaucoup maigri, l'orthopédiste ne m'a pas touchée.
L'endométriose pourrait être là comme un signal, un feu de signalisation pour me faire prendre conscience que mon passé que j'ai voulu enfouir m'impacte toujours, pour m'ouvrir les yeux, pour m'inviter à arrêter de passer à côté de ma vie, pour me dire que je suis trop dure avec moi-même, que je dois cultiver la confiance, la bienveillance envers moi. Si je n'avais pas eu cette endométriose je n'aurais jamais pu parler et ne serais jamais allée voir un gynéco, c'était impossible, il a fallu que les douleurs soient problématiques pour m'y résoudre.
Un grand merci. »