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KLERVIA

Dossier médical

Endométriose sévère diagnostiquée à 32 ans. Dysménorrhée depuis les premières règles à 12 ans..

Sa vie

« Je suis l'aînée de 2 filles, ma sœur a 3 ans de moins que moi. J'ai eu une petite enfance heureuse avec des parents aimants, même si mes parents se disputaient et que j'avais peur qu'ils se séparent. J'ai eu l'amour et la tendresse de mon père et de ma mère qui était bien dans sa féminité, sa maternité. J'ai perdu ma grand-mère quand j'avais 13 ans d'une crise cardiaque, j'ai eu un chagrin atroce et ai été beaucoup affectée. Ce décès a été un cataclysme dans la famille, comme si ma grand-mère était un socle, après tout est parti à vau-l'eau, tout a éclaté. Ma tante a divorcé et mène maintenant une drôle de vie, un oncle a refusé quoique ce soit de l'héritage, un autre a mis malencontreusement une femme enceinte, l'a épousée et a coupé les ponts avec la famille. Ces évènements ont déconstruit la famille auparavant unie et qui était dans ma tête d'enfant une famille modèle. Je ne sais pas ce qui s'est passé dans cette famille, je ne comprends pas et je n'ose pas demander à ma mère que je ne sens pas du tout disponible pour répondre à ces questions. J'ai une maman qui ne laisse pas paraître ses doutes. J'ai l'impression d'avoir une maman superwoman qui ne s'autorise pas à voir ce qui va mal, elle me dit toujours : arrête de te poser des questions, je ressens cela comme si on me cachait une partie de ma vie. J'ai eu mes règles un an après le décès de ma grand-mère, j'avais 14 ans, elles se sont mal passées, elles ont été douloureuses, très abondantes, je n'arrivais pas à gérer le flux. Je n'étais pas prête, la réaction de ma maman ne m'a pas convenu, elle m'a dit que cela était bien, mais pour moi c'était trop tôt, j'étais angoissée de devenir une femme, je n'arrivais pas à gérer, j'avais peur, j'avais honte. Je les ai vécues difficilement, mes règles c'était la contrainte, la douleur qui me pourrissait la vie. Je n'ai pas réussi à expliquer à ma mère ce que je ressentais, je suis restée seule. Je suis angoissée depuis cet âge de 13, 14 ans, mon sommeil est devenu instable, j'ai régulièrement des nuits agitées et dans les moments de peur viscérale je fais des crises de spasmophilie.

J'ai eu mon premier rapport sexuel à 19 ans, il s'est passé ... sans plus. Nous étions ensemble depuis un an mais j'avais une peur bleue d'aller voir un gynéco, et je ne voulais pas de rapport sans contraception, j'avais très peur de l'examen ; ne maîtrisant pas du tout mon corps, je ne voulais pas le montrer à un médecin qui le manipule. Nous sommes ensemble depuis 14 ans, mon compagnon est respectueux, à l'écoute, avec la volonté de m'accompagner, mais malgré cela, la sexualité est compliquée. Il y a quand même eu des rapports heureux, mais le plus souvent la pénétration est impossible, cela fait 3 ans que nous n'avons pas eu un rapport sexuel complet et dans les rapports complets, cela me fait le plus souvent mal au fond du ventre. J'ai commencé les cystites qui sont toujours post coïtales et je fais le lien entre les moments où la sexualité est encore plus compliquée et la fréquence des cystites. J'ai toujours eu des représentations négatives de la sexualité. Pour moi la sexualité est quelque chose de sale, enfant j'ai toujours eu peur de voir, d'entendre mes parents. Il faut dire..... qu'à 6 ans j'ai fait une rencontre malencontreuse : j'étais avec ma petite sœur de 3 ans dans un jardin où je n'avais pas le droit d'aller. Un homme est venu, il a baissé son pantalon, a montré son sexe et nous a demandé d'embrasser son sexe (pleurs), ma sœur s'est apprêtée à le faire, mais nous nous sommes sauvées en courant. Je n'avais jamais vu de sexe d'homme, après cet épisode j'ai fait des cauchemars pendant longtemps, puis j'ai occulté, j'ai gardé cela en moi longtemps, je n'en parlais à personne. Et tout est remonté à l'adolescence, les souvenirs sont venus me hanter avec la honte, la culpabilité. Quand c'est remonté, je ne savais plus ce qui était réel, je ne sais pas exactement ce qui s'est passé, si ma sœur l'a réellement embrassé. Après j'ai été guidée par la peur. Cette sexualité si difficile m'a invitée à parler à mon mari vers l'âge de 20 ans, ce qui a été très dur, puis à mon médecin traitant, à une sage-femme. J'ai enfin pu parler à ma mère, ce qui m'a réellement soulagée et a été libérateur, comme si le souvenir devenait plus petit. J'ai beaucoup de colère contre cet homme que je recroisais parfois dans la rue quand j'étais enfant, c'est avec la mort de ma grand-mère l'évènement le plus difficile de ma vie. Je m'en veux de ne pas avoir parlé plus tôt, peut-être est-ce comme vous le suggérez parce que je n'avais pas les mots, parce que cet évènement ne rentrait pas dans ma réalité.»

Sa réflexion

« Je suis soulagée qu'on mette un mot sur mes douleurs. Pour répondre à la question de votre thèse, je pense que les maladies ne sont pas là par hasard, qu'elles peuvent être des feux de signalisation que le corps nous envoie quand l'esprit ne veut pas voir. L'endométriose attaque ce qui fait de moi une femme, ma féminité. J'ai l'angoisse de la sexualité, d'être une femme, je ne me suis jamais sentie à l'aise avec la sexualité, la féminité, j'ai ce sentiment depuis la puberté. Je me suis toujours sentie très seule par rapport à la féminité, la sexualité : une grande solitude. Le pénis est un objet qui me fait peur, il est toujours resté un objet de crainte, de ce que cela chamboule et qu'on n'a pas pris le temps de m'expliquer, je n'ai pas osé les questions que j'avais à poser, ou bien je n'ai pas senti ma mère en capacité d'écoute. J'ai du mal à exprimer mes émotions, ma mère ne m'a pas laissée exprimer mes émotions à la hauteur de mon ressenti. Je me suis toujours sentie en décalage, j'ai toujours eu le sentiment que dans ma vie tout arrivait trop tôt : mes règles, la décision d'un métier, le départ de la maison, le bilan de stérilité...

Vous posez la question de l'endométriose tel un symbole représentatif de la féminité... : 'un symbole de féminité égarée' : cela me parle, entre dans mon histoire. L'endométriose serait le lien entre le sentiment profond de ne pas avoir construit et libéré la femme qui est en moi. Est-ce la cause ou l'excuse pour ne pas avoir de rapport ? Cette féminité est un capital en moi dont je dois prendre soin, que je dois bichonner, c'est un don, un trésor. Je dois faire un travail de réconciliation avec mon corps pour que j'en fasse une force qui me renforce dans ce que je suis. Je veux d'abord me pencher sur le problème de la sexualité, le fait d'en parler à ma mère a été libérateur mais j'ai toujours beaucoup d'émotion quand j'en parle (pleurs). Les douleurs de l'endométriose sont gérables et je ne veux pas me mettre la pression par rapport à un enfant. Je souhaite j'espère une sexualité épanouie pour laisser la nature faire l'enfant, laisser les choses arriver, c'est très ancré dans mes valeurs. La prise en charge m'angoisse, je ne veux pas qu'on me dépossède de mon corps. Et en même temps l'envie du gynécologue de ne pas perdre de temps m'angoisse, je ne voudrais pas me réveiller trop tard.

Je suis très heureuse de notre rencontre, l'entretien m'a donné le profond sentiment de joie d'être écoutée, c'est très précieux. Intégrer la dimension humaine dans la prise en charge médicale est important et les médecins ne sont pas prêts à l'écoute. Merci infiniment. »

Quatre ans plus tard j'ai reçu ce sms « Bonjour Docteur. Merci beaucoup pour le partage de votre TEDX que j'ai regardé avec beaucoup d'émotion. Je voulais vous dire un énorme merci pour votre travail, pour votre approche et pour toutes vos recherches. Vous rencontrer a été pour moi le début d'un chemin de guérison qui ne cesse de se poursuivre depuis et je n'en serais pas là où je suis aujourd'hui sans votre écoute et votre bienveillance. Après avoir fait la paix avec mon endométriose à la lumière de mon histoire, j'ai aujourd'hui l'immense joie d'être maman d'une petite fille de 2 ans. Merci pour tout ce que vous faites pour les femmes. Avec toute ma gratitude. »

Tous les noms propres ont été anonymisés.