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LEANDRA

Dossier médical

A 17 ans apparition dysménorrhée. A 27 ans diagnostic d'endométriose par IRM, coelioscopie opératoire. A 28 ans naissance d'une fille, à 33 d'un garçon. A 37 ans persistance algies, pas de lésions d'endométriose retrouvées à l'IRM.

Sa vie

« Je fais partie d'une fratrie de 2 filles, ma sœur a 5 ans de plus que moi. Ma mère aurait aimé un garçon au lieu d'une seconde fille, elle me l'a dit. J'ai eu une enfance heureuse avec l'amour et la tendresse de mes parents, jusqu'à l'âge de 17 ans. A ce moment mon père s'est mis à boire, cela a été très violent. Avant j'avais une famille parfaite et après tout a volé en éclats. Il est devenu violent envers ma mère et moi, de la violence verbale, physique. Il s'en prenait aussi à lui-même, il essayait de se tuer, il devenait dangereux au volant, un jour je l'ai retrouvé avec un révolver chargé dans la bouche. Il était ivre toute la journée. J'ai dû assurer partout, faire tourner le commerce de mes parents, surveiller mon père, soutenir ma mère qui lâchait prise, être sa confidente, essuyer ses larmes. Elle pleurait beaucoup, même si elle est une femme forte, aimante, si elle a la générosité, la grandeur d'âme de la femme, elle qui ne s'était pas sentie aimée par sa mère qui lui préférait sa sœur. Elle voulait divorcer, disant qu'elle ne voulait pas revivre la période de jeunesse pendant laquelle mon père buvait. Il avait commencé à boire à ses 20 ans et avait bu jusqu'à mes 4 ans mais je ne m'en souviens pas, puis après une cure de désintoxication lors d'une année d'internement il était devenu abstinent pendant 15 ans. Et il fallait taire tout cela à ma sœur qui avait déjà quitté la maison, elle qui avait vécu l'alcoolisme de mon père jusqu'à ses 9 ans, avait été assez turbulente, faisant pas mal de bêtises, par exemple volé dans les magasins. Pour assurer partout, j'ai séché l'école, j'ai fabriqué un univers avec des barrières, un univers de peurs qui ne tournait qu'autour de mon père. J'avais peur de perdre mon papa et c'est sûr qu'il se serait tué, je l'ai rattrapé plusieurs fois. Je suis devenue la mère de mon père, la mère de mes parents. A ce moment je n'étais pas consciente d'être à une place qui n'était pas la mienne mais que j'ai assurée. On ne connaît pas la raison de son alcoolisme, ni celui de sa jeunesse, ni pourquoi après 15 ans d'abstinence il s'est remis à boire. Pour moi, il y a un secret de famille dont on ne peut pas parler car, quand on lui pose des questions, il s'énerve et s'en va. L'enfance de mon père c'est secret défense. On sent qu'il y a quelque chose avec sa mère, il a beaucoup d'animosité envers elle, il dit qu'elle ne s'est jamais occupée de lui. Elle a eu 7 enfants, fait plusieurs fausses couches et plusieurs IVG qu'elle allait faire à l'étranger. Puis il y a eu adoption du fils des voisins qui était devenu orphelin. Le frère aîné de mon père est mort d'alcoolisme à 40 ans, un autre frère est aussi alcoolique, sa fille pense comme moi qu'il y a un secret de famille dont son père ne veut pas parler. On sait que mes grands-parents ont été résistants pendant la guerre, ils aimaient nous en parler, et le faisaient avec fierté.

Mon premier rapport à 17 ans avec mon futur mari s'est bien passé, comme un premier rapport. J'ai eu ensuite des douleurs au fond du ventre à chaque rapport, sans que cela empêche le rapport, on fait avec, on se débrouille. Je suis partie de la maison à 19 ans pour aller vivre avec lui, pourtant je ne le voulais pas car mon père buvait toujours, c'est ma mère qui m'y a poussée, une belle preuve d'amour. Mais même à l'extérieur de la maison, je vivais dans la peur, j'étais toujours en alerte, prête à sauter sur le téléphone, craignant d'entendre ma mère dire que mon père était mort. Je téléphonais ou bien je passais tous les jours, j'ai malgré tout, hors de la maison, commencé à mieux dormir. Mais je n'arrivais pas à vivre ma vie, à passer une soirée avec des copains, à partir en vacances car je ne réussissais pas à me détacher de la vie de mon père. Le jour de mon mariage mon père s'est bien tenu, mais dès le lendemain il a bu. Ce jour a été un peu comme un premier déclic, un gros pas en avant, j'ai eu de la colère, je me suis dit : cela suffit, je ne veux plus m'empêcher de vivre ma vie. J'ai eu alors de la culpabilité envers mon mari pour qui la vie de couple n'était pas facile. J'ai compris que je ne pouvais pas continuer à chaperonner mon père et passer à côté de ma vie. »

Sa réflexion

« J'ai longtemps porté ce sentiment d'être passée à côté d'une partie de ma vie et de ma vie de couple en particulier. J'étais désolée d'avoir fait vivre cela à mon mari, j'ai eu une culpabilité à 9/10 pendant longtemps. Pourtant je n'en ai jamais voulu à mon père. J'ai mis cet alcoolisme sur le compte d'une maladie, je ne me suis jamais sentie coupable de cela, c'était parce qu'il était malade (pleurs). J'aurais juste voulu comprendre. Il est de nouveau abstinent depuis 7 ou 8 ans, ce qui m'a permis de retrouver mon papa et de faire diminuer ma peur, il en reste un peu (3/10), car j'ai encore des images de mon père qui viennent le soir quand on a parlé de lui dans la journée.

Le lien entre mes douleurs et ce qui s'est passé est fait dans ma tête depuis longtemps. La maladie n'est pas là par hasard, ma vie bascule à 17 ans et les douleurs apparaissent à ce moment, c'est l'année la plus difficile de ma vie. J'ai commencé à mal dormir, j'ai mis ma vie entre parenthèses et j'ai vécu dans la peur, une peur à 10/10. J'ai réalisé une prise de conscience de ce qui se passait d'abord le lendemain de mon mariage qui a été un premier pas, puis ensuite quand mon père a arrêté de boire, à mes 30 ans. J'ai alors ouvert les yeux, j'ai réalisé que j'avais été engloutie par la vie de mon père, j'ai pris conscience des dégâts induits sur mon mari et moi d'un point de vue psychologique.

Quand vous parlez de l'endométriose en symbolique, cela me parle. Pendant l'entretien, vos questions ont fait tilt. J'ai compris que j'avais été la mère de mon père, peut-être d'ailleurs la mère qu'il n'a pas eue et la mère c'est le féminin. La bonne place aurait été que je sois l'enfant, l'adolescente. Je le conçois, je le comprends maintenant et maintenant je suis à la place où je dois être. Je pense qu'on a la capacité de se guérir. »

Une semaine plus tard au téléphone : « Après l'entretien j'ai été un peu déboussolée, cela a remué beaucoup de choses. Le soir j'ai fait une crise douloureuse mais contrairement à d'habitude le lendemain je n'avais plus mal. Vos questions ont vraiment fait tilt.

Le plus gros tilt c'est la prise de conscience que j'ai été la mère de mes parents pendant des années, c'est le bon mot. J'ai materné mes parents. Je n'avais jamais conçu les choses comme cela. La vie ne m'a pas donné la place que j'aurais dû avoir, c'est pourtant la place que j'ai prise, acceptée inconsciemment, j'estime que je n'avais pas le choix.

Le deuxième tilt je l'ai eu quand vous m'avez demandé comment je voyais ma mère dans son féminin. Je ne m'étais jamais posé la question. Avec mes yeux d'enfant, d'adolescente je la voyais seulement comme une maman, pas comme une femme, et elle a dû en effet mettre sa féminité au placard pendant des années.

Le troisième tilt est le fait d'avoir bien compris que c'est le choix de mon père de garder secrètes les raisons de son alcoolisme, il a cette responsabilité-là. Pourtant cela m'aurait aidée et m'aiderait vraiment à comprendre pour pouvoir tourner la page. Cela pourrait m'aider à faire complètement disparaître ma culpabilité envers mon mari qui n'est plus qu'à 1/10.

Je pense que l'endométriose pourrait être là pour m'aider à réaliser que la vie ne m'a pas donné la place que j'aurais dû avoir. J'ai bien saisi tout cela. Cette prise de conscience peut m'aider à être très vigilante pour ne jamais plus dans ma vie m'égarer à une place qui ne serait pas la mienne. C'est cela la voie de la guérison. »

Tous les noms propres ont été anonymisés.