LILYROSE
Dossier médical
A 14 ans premières règles, dysménorrhée, ménorragies qui persistent depuis. A 15 ans douleurs articulaires qui ne seront étiquetées polyarthrite (maladie auto-immune articulaire traitée épisodiquement par méthotrexate et corticoïdes) qu'à 35 ans. A 33 ans fausse couche précoce. A 39 ans chirurgie en urgence de hernies discales L4-L5, L5-S1 suite à une sciatique paralysante. A 42 ans chirurgie d'une sténose de l'aqueduc du mésencéphale suite à aggravation des migraines, à une perte d'équilibre, une perte de la vision de l'œil droit. A 43 ans diagnostic de Maladie d'Hashimoto (maladie auto-immune thyroïde). A 45 ans diagnostic d'endométriose, suspicion d'une localisation d'endométriose au niveau de la plèvre.
Sa vie
« Je suis la seconde d'une fratrie de deux filles, ma sœur a 4 ans de plus que moi. Je n'étais pas désirée. Le médecin a dit que c'était trop tard pour l'IVG mais je suis née avec 6 semaines de retard sur la date prévue, ce qui me laisse supposer que la date du début de grossesse a été avancée pour mettre l'IVG hors délai. Ma mère a voulu me faire passer, elle a pris des médicaments, mais je suis née, elle m'a dit qu'à la naissance j'étais moche, je ressemblais à un petit singe. Ma mère ne voulait pas d'enfant, elle n'était pas faite pour être mère, elle a fait 3 IVG et me l'a fait savoir dès mon enfance. Il n'y avait pas de temps pour l'amour, la tendresse, il fallait bosser. Quand je suis née, la maternité a prévenu mon père qui a dit : Ah merde, encore une fille, alors j'ai été élevée comme un garçon. Ma sœur et moi avons été livrées à nous-mêmes, dès mon plus jeune âge, j'allais à l'école toute seule traversant des rues très passantes, je circulais dans la ville, même assez loin de la maison, mes parents ne surveillaient pas. Mes parents étaient commerçants, il ne fallait pas les embêter, en fait ils n'étaient pas parents, ils vivaient leur vie de couple, ma mère était plus femme que mère. Il n'y avait pas de loisirs, pas de partages, alors je serrais les dents. Quand je demandais à ma mère si elle m'aimait, elle répondait : quand tu dors.
A mes 5, 6 ans un client du café de mes parents m'a tripotée. Il a voulu m'emmener me faire couper les cheveux, ma mère m'a laissée partir avec lui. Je l'ai suivi, mais n'ai pas voulu qu'on me coupe les cheveux, je me suis enfuie, il m'a rattrapée, m'a plaquée contre un mur et m'a fait des attouchements avec les doigts. Je me souviens qu'il faisait nuit. Je suis rentrée en courant, en larmes, ma mère m'a demandé s'il m'avait fait mal, pour moi elle a compris, elle m'a dit de monter me désinfecter. Je n'en ai jamais parlé. C'est à cet âge que j'ai débuté les cauchemars, je me cachais sous ma couette, j'avais peur qu'on me poignarde dans le dos, qu'on me tue, j'avais peur de mourir. C'est aussi à cet âge-là que j'ai commencé à prendre 2 douches pas jour, je ne me lave pas, je me gomme, il ne faut absolument pas qu'on puisse sentir que je suis une femme. Et à peine sortie de la douche je dois immédiatement mettre une culotte. Toutes mes poupées devaient avoir une culotte et je rentrais toujours mes chemises, pulls bien enfoncés dans ma culotte. Vers 35 ans, j'ai dit un jour à ma sœur qu'il y avait des clients glauques dans le café, à ma grande surprise elle a dit : oui il y avait des clients qui mettaient la main dans la culotte, mais c'est pas grave ! La conversation en est restée là.
Un soir de mes 11 ans, ma mère est partie après avoir vidé tous les comptes en banque. Mon père l'avait vue embrasser un autre homme, il est parti lui aussi. Lui est revenu, ma mère non, elle a été déchue de ses droits parentaux, n'a jamais payé ses pensions. Quand ma mère est partie, elle m'a dit que je n'étais bonne qu'à faire le trottoir, que j'étais bête et moche. Cette musique-là, je l'ai entendue bien souvent dans ma tête. Je me suis mis beaucoup de pression pour me prouver le contraire. Quand j'ai eu 23 ans, j'ai voulu revoir ma mère, elle ne m'a pas reconnue, moi si, il n'y a pas eu de rencontre. J'ai pensé que je n'avais rien perdu. J'ai revu ma mère une autre fois au tribunal quand ma sœur et moi avons eu la tutelle de notre grand-mère, ma mère est venue voir s'il y avait de l'argent à récupérer. J'ai revu ma mère récemment car ma grand-mère est morte, je l'avais prévenue que sa mère qui refusait de s'alimenter allait mourir. Ma mère est venue, ma grand-mère est morte une semaine plus tard.
Ma mère n'a pas eu de référence aimante, elle n'a pas eu une image maternelle de tendresse. Elle a été enlevée à sa mère et élevée par sa grand-mère qui était dure, premier maréchal ferrant femme, résistante de guerre, qui avait élevé son fils toute seule. Mon arrière-grand-mère exerçait son autorité sur ma grand-mère qui est devenue alcoolique, qui était elle aussi très dure, elle me disait : tu es comme ta mère, tu finiras comme elle, seule. Je n'ai jamais entendu ma mère appeler sa mère maman, elle l'appelait par son prénom. Les trois générations vivaient ensemble sous le même toit et mon arrière-grand-mère devait traverser la chambre de sa belle-fille et de son fils pour atteindre la sienne. On imagine leur intimité ! C'est peut-être la raison qui a fait que ma mère est restée fille unique.
J'ai eu mes premières règles à 14 ans qui ont été douloureuses et le sont restées, avec des douleurs en milieu de cycle. On m'a dit que c'était normal d'avoir mal pendant les règles et j'ai dû vivre avec, seulement à 45 ans on a fait le diagnostic d'endométriose. De mes 15 à 23 ans j'ai fui les mecs, j'avais tellement la trouille, il fallait tellement que je connaisse le garçon avant d'entamer une relation qu'il devenait un copain. Et puis comme j'étais moche de l'intérieur, je pensais que cela allait vite se voir. J'ai eu mon premier rapport à 23 ans, il a été tardif car j'en avais peur, je me sentais tellement moche et pas désirable. J'étais tellement crispée, j'avais tellement peur, tellement honte qu'il s'est très mal passé, j'ai eu tellement mal, j'ai dû être recousue, j'ai eu 3 points de suture. Le gynéco a dit c'est comme si vous aviez accouché ! Moi qui ne voulais pas être mère ! J'ai continué à saigner pendant une semaine, j'ai dû avoir des antibiotiques. Ce rapport est resté isolé. Deux ans plus tard, j'ai eu une relation de quelques mois, seulement pour avoir des rapports tests pour savoir si les rapports étaient possibles, ils ont été douloureux mais j'ai fait comme si tout se passait bien. A 33 ans j'ai eu une relation d'une année, j'ai cru que j'étais amoureuse, mais cela a été ma pire expérience, l'horreur totale, il était agressif, violent, même pendant les rapports, il y a eu des rapports non désirés, notamment une sodomie brutale sans consentement. J'ai fait ma fausse couche sans savoir que j'étais enceinte le jour où il m'a avoué avoir une double vie et qu'il venait d'être père. Ensuite j'ai attendu mes 35 ans pour rencontrer mon mari, c'est l'évènement le plus heureux de ma vie. Mes rapports sont toujours douloureux mais je ne veux pas le lui dire. En fait je n'ai jamais eu envie de rapport, je me satisferais de la tendresse, j'ai des rapports pour faire plaisir à mon mari. Après chaque rapport, j'ai des douleurs électriques qui grésillent dans ma tête, des chocs électriques dans le ventre et deux bonnes heures de tremblements qui m'empêchent de dormir et que je dois gérer. Avec mon mari, j'ai eu des rapports non protégés pendant 10 ans sans grossesse, cela ne me surprenait pas, aussi je n'ai jamais fait de bilan pour savoir. Je pense que je me suis bien verrouillée et ce n'est pas plus mal car je n'ai jamais eu une grande envie d'être mère, je ne me sentais pas en capacité de l'être.»
Sa réflexion
« L'évènement le plus difficile de ma vie ce sont les attouchements qui sont encore plus pénibles que le départ de ma mère. J'ai eu une culpabilité, une honte à 7/10, car je n'aurais pas dû le suivre et puis j'aurais dû courir plus vite. J'ai vécu cet évènement comme si j'étais au-dessus de moi-même, j'ai la même sensation pendant les migraines. L'émotion la plus difficile est la peur, la peur de l'abandon, la peur de lâcher la maîtrise, le contrôle. Je dois tout contrôler, je ne supporte pas la surprise. J'ai fait une psychanalyse pendant 10 ou 15 ans, seulement au dernier rendez-vous j'ai évoqué à demi-mots les attouchements, le psychiatre a dit qu'il l'avait deviné mais on n'en avait jamais parlé clairement, seulement avec des périphrases. Aujourd'hui c'est la première fois de ma vie que j'en parle vraiment, que sont mis des mots sur ce qui s'est passé. On ne m'avait jamais dit que j'étais une victime, la victime d'un pédophile. On ne m'avait jamais expliqué que les cauchemars, les TOCs de propreté, de vérification sont la conséquence de cet évènement traumatique, et que je ne suis pas folle, que tout n'est pas « dans ma tête » comme certains médecins me l'ont dit. On ne m'avait pas expliqué que la sensation d'être au-dessus de la scène pendant l'abus était due à la sidération du traumatisme. On n'avait jamais formulé qu'une petite fille de 5 ans ne peut pas courir plus vite qu'un homme adulte. Ma culpabilité a diminué à 5/10.
A 35 ans j'ai fait un épisode d'arythmie qui m'a emmenée à l'hôpital. Je pense que j'étais épuisée car je bosse à fond pour ne pas penser, pour surtout ne pas cogiter. Le corps a dit stop, tout s'est amplifié et les maladies auto immunes se sont déclarées. Et puis l'endométriose en symbolique, cela me parle. J'ai toujours caché mon féminin, dès que j'ai eu des seins je les ai cachés sous des grands pulls. Et je me souviens un jour de mes 15 ans où je me suis rendu compte que j'avais des hanches, j'ai fait une grosse crise de larmes. Je voulais cacher tout ce qui était féminin, je détestais avoir mes règles et les cachais, je cachais qu'elles étaient douloureuses, je me sentais bouffée de l'intérieur. Dans la tradition, quand on a ses règles, on reçoit une claque et il faut les cacher. Le féminin m'a abandonnée, et je l'ai peut-être moi aussi abandonné. Je pense que c'est surtout pour ne pas être comme ma mère. Je ne voulais surtout pas ressembler à ma mère, à une mère. Quand on m'a dit le diagnostic d'endométriose, cela m'a submergée, l'endométriose c'est le premier élément marquant qui me dit que je suis une femme. Ce diagnostic m'a soulagée, j'ai pleuré. Dans ce centre de la clinique, j'ai trouvé une approche qui correspond à mes attentes. Je me suis sentie en vie, j'ai eu l'impression de revivre, car, ça y était je découvrais mon féminin et j'aimerais vraiment me sentir femme. »
Une semaine plus tard au téléphone : « L'entretien m'a bien brassée, j'ai eu des cauchemars avec odeur, sensation de peau. Cet entretien a été négatif et en même temps positif. Je savais qu'il fallait que je le fasse. Cela m'a fait beaucoup de bien d'être entendue. La lecture de votre thèse m'a mise en confiance et puis la caution du Dr qui m'a marqué votre nom sur un papier m'a confortée. Et je réussis aujourd'hui à vous formuler que j'ai été victime d'un pédophile, c'est la première étape nécessaire, je vais maintenant le dire à d'autres, je vais essayer ce soir de le dire à mon mari. J'ai compris rationnellement que je n'ai pas le droit de m'en vouloir, que culpabilité, honte, saleté ne devraient pas être pour moi, pourtant émotionnellement ces émotions sont encore là et encore à 7/10. Mais j'ai compris que si on ne peut pas changer le passé on peut soigner les émotions induites. Je suis décidée à envisager une thérapie brève. »