BLEUENN
Dossier médical
Accouchement d'un enfant sous X à 19 ans, infécondité secondaire de 23 à 46 ans ; cancer du sein à 34 ans ; ménopause chirurgicale à 46 ans.
Sa vie
« Ma mĂšre avait 40 ans quand je suis nĂ©e, et mon pĂšre 44. J'ai Ă©tĂ© Ă©levĂ©e dans un souci de paraĂźtre, Ă 5 ans j'ai eu le ver solitaire, je me souviens que le regard sur moi a changĂ©, avant j'Ă©tais la petite fille la plus belle, aprĂšs j'ai Ă©tĂ© trĂšs maigre, je me souviens que je cachais mes bras malingres. J'ai senti que l'admiration de mes parents pour moi Ă©tait accrochĂ©e Ă ma rĂ©ussite, mais l'amour... je ne sais pas. A 22 ans j'ai rencontrĂ© un homme mariĂ©, pĂšre de famille, j'ai Ă©tĂ© enceinte, il l'a su, il est restĂ© mariĂ©. Je l'ai aimĂ©, lui je ne sais pas. J'Ă©tais complĂštement immature, j'ai menĂ© ma grossesse Ă terme, mais c'Ă©tait le dĂ©shonneur d'avoir un bĂ©bĂ© hors mariage, et d'ĂȘtre fille mĂšre. J'ai Ă©tĂ© ostracisĂ©e par ma famille, je me souviens de cousins qui changeaient de trottoir s'ils me croisaient. A la fin de ma grossesse, j'ai Ă©tĂ© mise au Bon Pasteur et y suis restĂ©e quelques semaines, c'Ă©tait atroce. Ma mĂšre m'a dit : 'Tu vas abandonner l'enfant', et j'ai accouchĂ© sous X, je me suis laissĂ© faire, j'avais un sentiment d'impuissance totale. L'accouchement a Ă©tĂ© trĂšs long car je ne voulais pas mettre le bĂ©bĂ© au monde, je voulais le garder, mais je n'avais pas de solution. Mon enfant est nĂ© le jour de l'anniversaire de son pĂšre qui s'est suicidĂ© l'annĂ©e qui a suivi en se jetant sous un train, il avait 25 ans. Je n'ai pas su que ce bĂ©bĂ© Ă©tait une petite fille. Ma mĂšre disait Ă l'entourage que le bĂ©bĂ© Ă©tait mort, mon pĂšre a laissĂ© faire mon accouchement sous X mais je pense qu'il en est mort, il est mort de chagrin 18 mois plus tard.
Je me suis mariĂ©e plus tard par obligation, pas par amour, et parce que mon mari m'a montrĂ© de l'intĂ©rĂȘt, de plus c'Ă©tait une Ă©chappatoire. J'aurais voulu Ă ce moment rĂ©cupĂ©rer le bĂ©bĂ©, je n'ai pas pu car j'avais besoin d'aide. Avec mon mari nous ne parlions pas de bĂ©bĂ© mais je savais qu'il en voulait, donc nous ne protĂ©gions pas nos rapports. Au fond de moi, je ne voulais plus d'enfant, je n'aurais pas pu mettre un enfant au monde, cela aurait Ă©tĂ© trop douloureux, je ne pouvais plus aimer. J'ai consultĂ© ma gynĂ©co pour un examen systĂ©matique, mais je n'ai pas consultĂ© pour une demande de grossesse, je n'ai jamais exprimĂ© un dĂ©sir d'enfant. Elle m'a demandĂ© depuis combien de temps j'Ă©tais mariĂ©e, elle a notĂ© que je n'avais pas d'enfant aprĂšs 8 ans de mariage sans contraception et m'a proposĂ© des examens. Je me suis laissĂ© faire par ma gynĂ©co, j'ai subi, sans y adhĂ©rer. On m'a proposĂ© des FIV sans me poser de questions sur ma vie, j'ai rĂ©ussi Ă les refuser.
A 34 ans, je suis tombĂ©e amoureuse, mais il ne s'est rien passĂ©. J'Ă©tais amoureuse alors que je n'en avais pas le droit puisque je n'avais pas su aimer l'enfant que j'avais mis au monde, je ne supportais plus mon mari, mais je n'avais pas pour autant le droit d'aimer ailleurs. J'ai maigri, je ne dormais plus, et c'est cette mĂȘme annĂ©e que j'ai eu un cancer du sein, j'ai eu le sentiment de me punir.
A mes 40 ans mon mari a retrouvé la trace de l'enfant. J'ai su que c'était une fille et qu'elle avait été adoptée petite. J'ai écrit aux parents adoptifs qui l'ont prévenue. Elle n'a pas souhaité me voir. Seulement quand j'ai su que ma fille avait été adoptée, qu'elle avait eu une enfance heureuse, j'ai pu me projeter dans un rÎle de maman et entamer une procédure d'adoption. J'ai adopté un petit garçon de 2 mois, il m'aurait été impossible d'adopter une fille, et je n'ai pas voulu rencontrer la mÚre de l'enfant car alors, je n'aurais pas pu prendre le bébé.
A mes 54 ans ma fille m'a appelĂ©e pour me rencontrer, elle avait elle-mĂȘme une petite fille. Avec l'arrivĂ©e de mon fils, c'est l'Ă©vĂšnement le plus heureux de ma vie d'avoir retrouvĂ© l'enfant que j'avais mise au monde. »
Sa réflexion
« On m'a demandĂ© d'abandonner l'enfant et je me suis laissĂ© faire, je n'ai pas dit non. C'est ce sentiment d'impuissance, le sentiment le plus difficile de ma vie, on ne s'en remet jamais, c'est une trop grande souffrance. Pour moi c'est trĂšs clair, cet abandon m'a empĂȘchĂ©e d'aimer, je me suis interdit un autre enfant, ce n'Ă©tait pas possible. Seulement quand j'ai su que ma fille avait eu une enfance heureuse j'ai pu me projeter comme maman et adopter mon fils. Mes problĂšmes de santĂ© ont tous Ă©tĂ© des problĂšmes gynĂ©cologiques, le cancer du sein, l'hystĂ©rectomie, comme une punition, je me suis dĂ©truite chaque fois un peu plus. »