LÉONIE
Dossier médical
Infécondité secondaire pendant 4 ans suite à une fausse couche à 3 mois de grossesse à 35 ans, inexpliquée. Hystérectomie (ablation utérus) à 39 ans.
Sa vie
« Je suis née pendant la guerre, dans des circonstances étranges. Ma mère et moi avons failli mourir pendant l'accouchement qui a été très difficile, j'ai été ondoyée. Ensuite nous avons dû partir à cause des bombardements. Nous nous sommes réfugiées à la campagne, le fermier qui nous a reçues a dit : elles ne survivront pas, tellement nous étions faibles, mais nous avons survécu. Plus tard, j'ai eu une sœur. Ma mère n'était pas maternelle du tout. Les enfants ne l'intéressaient pas, elle n'en voulait pas, je ne sais pas pourquoi. Je n'ai jamais eu de tendresse, jamais de bisous. Elle a été mariée par obligation pendant la guerre.
J'ai eu mes premières règles tardivement à 17 ans, je n'étais au courant de rien du tout, j'ai été terrorisée, je ne comprenais pas, c'est la voisine qui m'a rassurée. Je me suis mariée à 34 ans, mon mari appartenait à une famille catholique pratiquante, « bien-pensante ». Ils ont fait fortune pendant la guerre, et il n'y avait que l'argent qui comptait. Mon mari a un frère qui a fait le séminaire, c'était le prestige, mais il l'a quitté pour se marier, ce qui a été une grosse déception pour ma belle-famille. Moi, leur belle fille, j'ai été mal acceptée car j'étais professeur à l'école publique, 'l'école du diable', de plus j'étais d'un milieu social qu'ils trouvaient inférieur. Quand je me suis mariée, mon mari était veuf, il avait déjà deux enfants, deux garçons de 7 et 10 ans. L'aîné était né peu de temps après le mariage, il était pour mes beaux-parents l'enfant du péché, l'autre était préféré. La première femme de mon mari n'a pas été bien vue, car elle n'avait pas de biens, elle est décédée à 31 ans d'un cancer quand son dernier fils avait trois mois. Dès le début de mon mariage ma belle-famille répétait souvent : 'vous n'êtes que la deuxième femme, et on n'a pas besoin d'autres enfants'. Sur la demande de ma belle-famille, j'ai dû adopter légalement les 2 enfants de mon mari pour que ma part d'héritage leur revienne, car : 'Sinon tout ton travail et tes biens iront à ta famille, et pas aux enfants'. Assez tôt j'ai dit à mon mari : 'On n'aura pas d'enfant', comme un pressentiment ou une peur.
Quand j'ai été enceinte, rapidement après mon mariage, la grossesse a été très mal accueillie. Mes beaux-parents et mes propres parents m'ont dit : 'Qu'est-ce que tu vas faire d'un enfant, tu en as déjà deux !' Ma belle-famille qui avait beaucoup de biens ne voulait pas éparpiller l'héritage, deux garçons c'était suffisant, de plus, ils craignaient que je ne m'occupe plus des deux garçons. Ma mère s'est entretenue avec mon médecin et m'a rapporté qu'il avait dit : 'Ça ne va pas tenir', elle a rajouté : 'une fausse couche, c'est arrivé à ta grand-mère, à ta tante, tu n'y pourras rien'. J'ai effectivement, selon la prédiction de ma mère, fait une fausse couche à trois mois révolus. Mon mari et moi avons vécu cela comme un drame, par contre, mes parents et beaux-parents ont été contents. Pour moi la fausse couche c'est à cause d'eux, j'étais terrorisée que la grossesse puisse aller jusqu'au bout, je ne sais pas jusqu'où ils auraient pu aller si elle était allée à terme. J'ai très mal vécu le début de grossesse, et la fausse couche, je me sentais très seule, pas du tout épaulée, aucune compassion de la famille, le silence total. Après cette fausse couche, j'ai eu des rapports non protégés pendant 4 ans sans grossesse. Un médecin m'a proposé de faire un bilan, de m'aider pour une nouvelle grossesse, prévoir un cerclage si elle arrivait, j'ai refusé, je ne voulais à aucun prix revivre cette terrible épreuve. En fait, je ne pouvais pas être enceinte, car c'était un interdit pour moi.
Suite à cette solitude, j'ai malmené mon corps jusqu'à me rendre malade, je voulais disparaître. Je sortais sans me couvrir, je restais dehors dans le froid. Pendant à peu près trois années, j'ai fait 3 à 4 otites par an, deux pneumonies, et de l'asthme dont je n'avais jamais souffert précédemment, ni depuis d'ailleurs. Je me suis mise à saigner entre les règles, et quand j'avais mes règles, elles étaient très hémorragiques, ça saignait, ça saignait mais je ne prenais rien pour les diminuer ou les arrêter. C'est devenu obsessionnel de saigner, je me levais à 5h du matin pour faire le jardin, je bêchais, pour que 'tout tombe' pour que le sang vienne, que ça saigne, et que ça saigne encore, et j'ai saigné jusqu'à ce qu'on me fasse une hystérectomie. Juste avant l'intervention, j'étais très fatiguée, anéantie, mais j'allais quand même bien : on allait m'opérer, mon hystérectomie a été un drame et un soulagement. J'ai été apaisée par rapport au problème familial de transmission, de filiation. Après l'hystérectomie, la famille m'a dit ' comme ça, tu vas être tranquille'. Mes beaux-parents étaient rassurés, il n'y aurait pas d'autre enfant.
Mon mari et moi avons décidé d'adopter un enfant. Nous avons adopté une petite fille haïtienne de 7 ans. Mes beaux-parents ont été outrés : 'Mais cette petite fille est noire, elle va hériter, elle n'est pas enfant de sang !' Le Noël suivant l'adoption, on m'a demandé de ne pas amener ma fille au cas où elle serait contagieuse. Ma fille a fait une tentative de suicide à 33 ans. »
Sa réflexion
« Je n'ai pas pu avoir d'enfant entre mon mariage et mon hystérectomie car je me suis interdit une grossesse après ma fausse couche qui a été l'évènement le plus douloureux de ma vie**. Je pense que cette intervention m'a sauvé la vie**, sinon j'aurais continué à maltraiter mon corps, à le rendre malade pour ne pas risquer une nouvelle grossesse et j'aurais pu en mourir. Mon hystérectomie a arrêté mes conduites à risque, m'a fait revivre, m'a empêchée de mourir. La chirurgie c'est moi qui l'ai cherchée, provoquée, et mes otites à répétition je les ai faites pour ne rien entendre. J'ai fait mon deuil de ne pas avoir eu d'enfant biologique. Quand ma belle-mère est morte, sur son lit de mort elle m'a dit : 'Je vous demande pardon de tout le mal que je vous ai fait'. Le mal qu'elle m'a fait : c'est la fausse couche. Après le décès de mes beaux-parents, je me suis sentie libre. »