SIRÈNE
Dossier médical
Infécondité inexpliquée de 7 ans entre 29 et 36 ans, 6 IAC, 5 FIV ; naissance de 2 enfants à 36 et 40 ans après FIV ; une fausse couche associée à une grossesse extra utérine après grossesse spontanée à 37 ans.
Sa vie
« Je suis l'aînée d'une fratrie de deux. J'ai eu une enfance très compliquée. Il y a eu de l'alcool chez mon père, pourtant j'ai eu son amour et sa tendresse. Par contre je n'ai rien eu de ma mère, elle était complètement absente et non maternelle, ce qui est difficile pour une enfant. Elle était égoïste, égocentrique, nerveuse, dépressive, elle a fait des pseudo-tentatives de suicide ; beaucoup de bruit pour rien. Elle ne s'est pas occupée de moi, elle préférait mon frère, elle me disait que j'étais moche, elle me coupait elle-même les cheveux très courts. Je subissais une violence énorme, des mots blessants et des coups, elle n'hésitait pas à prendre le martinet. Je redoutais ses colères, une fois c'est mon père qui l'a arrêtée, je ne sais pas jusqu'où elle serait allée. Mes parents étaient absents du matin au soir, c'est moi qui gérais mon petit frère de 3 ans mon cadet. A 7 ans il a avalé des comprimés, c'est moi qui ai appelé la voisine en le voyant tituber, on pense qu'il a fait sa première tentative de suicide. A mes 16 ans, ma mère m'a dit qu'elle n'avait pas voulu de moi, avait essayé de se faire avorter mais avait échoué. Heureusement ma grand-mère s'est occupée de moi, j'ai un amour immodéré pour elle qui était une femme magnifique, formidable.
Ma mère avait un amant, le patron de mon père, c'est mon frère qui l'a découvert en suivant ma mère à vélo, j'avais 12 ans. Mon père s'est mis à boire, il faisait des crises quand il était ivre, il disait souvent qu'il allait tuer sa femme et ses enfants, il a menacé de le faire un jour de Noël, je me suis réfugiée dans un placard. J'avais toujours peur que la violence verbale ne se transforme en violence physique, ce qui n'est jamais arrivé. A 37 ans mon père a fait une tentative de suicide avec des médicaments qui a échoué, c'est moi qui l'ai trouvé. Deux ans plus tard, il a fait une nouvelle tentative qui a réussi, il est mort suicidé à 39 ans, j'en avais 16. Ce fut à la fois une terrible épreuve et un soulagement, car vous aimez et vous détestez à la fois, j'aimais mon père d'un amour à 10/10 mais j'avais peur, j'avais l'angoisse de ses crises d'ivresse, j'avais honte d'aller remplir les bouteilles de vin. Avec lui ce n'était pas possible, et sans lui ce n'était pas possible non plus. J'ai de l'admiration pour mon père qui a supporté l'adultère de ma mère au vu et au su de tout le monde. En cherchant des papiers, j'ai appris que j'avais été reconnue par mon père seulement à l'âge de 3 ans. Ma tante m'a dit un jour : 'Demande à ta mère qui est ton père sale bâtarde', mais mon père est mon père. On ne peut pas désaimer son père, sa mère si.
Je me suis enfuie de la maison à 19 ans, et n'ai revu ma mère que l'année suivante puis une autre fois quand ma fille est née, jamais depuis, elle ne connaît pas mon fils. A mes vingt ans, mon frère s'est suicidé, il s'est tiré une balle dans la tête, est resté trois jours dans le coma avant de mourir. Sa mort a tout balayé. C'est l'évènement le plus difficile de ma vie. Les médecins ont demandé de pouvoir prélever les organes, ce qui a été une difficulté supplémentaire. J'ai été révoltée, saisie par la colère, l'injustice, la culpabilité. Qui peut ne pas se sentir coupable ? Je me suis demandé si c'était héréditaire. Puis il a fallu accepter.
Les premières années de ma vie d'adulte, il était hors de question d'avoir un enfant pour lui faire vivre les choses terribles que j'avais vécues. Il m'a fallu un partenaire très fort que j'ai rencontré à 28 ans et que j'ai épousé, j'avais connu d'autres hommes mais je voulais être sûre. Mais l'enfant n'est pas venu alors que le bilan était normal. »
Sa réflexion
« Ces questions que vous posez d'un lien éventuel entre la difficulté d'avoir un enfant et mes souffrances de vie sont une véritable révélation, une vraie révélation. Je ne m'étais jamais posé ces questions, cela ne m'avait pas effleuré l'esprit et aucun médecin pendant mon parcours de PMA ne m'a posé de question sur ma vie, aucun n'a su le suicide de mon père, celui de mon frère, la violence de ma mère. Je n'avais jamais pensé à cela avant, mais bien sûr..., oui...., c'est cohérent : quand on a une enfance difficile, une adolescence terrible, quand on a une maman qui ne vous aime pas et vous le dit, quand l'amour n'existe pas, on est obligé de se faire une carapace, sinon on se suicide, le manque d'amour est dévastateur. Quand on a un manque d'amour pour soi-même, on ne sait pas si on sera capable d'en donner, la suite ne peut pas être assurée. Il faut se libérer de son enfance pour faire face. Quelque part pendant mon parcours, je pense que je voulais garder mon statut d'enfant, j'ai essayé d'être une enfant heureuse à l'âge adulte. Pendant le parcours de PMA, je me demandais si j'avais la stature d'une maman : à un certain moment, je n'avais probablement pas assez d'amour à donner. Je pense que j'ai acquis ma capacité à être enceinte au moment où je me suis estimée prête à être maman. Mon mari et mon métier m'ont aidée à me construire, puis les hasards de la vie ont fait que mon mari et moi avons gardé un bébé de 6 mois que des cousins nous ont confié pendant une semaine. J'ai passé une semaine superbe, un moment fantastique, je me revois fière de promener ce bébé, d'être comme tout le monde, alors que mon enfance m'avait fait croire le contraire. Je me suis dit : 'bien sûr que suis capable d'être maman, je peux être comme tout le monde ! Je me rends compte en vous parlant que je ne me souvenais plus de cet épisode, je l'avais complètement oublié, mais cette semaine fantastique a bien pu être un déclic dans mon cerveau pour que je m'autorise une grossesse car deux mois plus tard j'attendais ma fille. Mon obstination à faire un enfant, parce que je voulais une famille que je n'avais pas eue enfant, a été plus forte que moi-même. Oui cela a du sens, les choses sont à leur place.
Maintenant je pense que les médecins devraient nous inviter à réfléchir, j'aurais gagné du temps.»