CARMEN
Dossier médical
A 29 et 35 ans naissance d'une fille puis d'un garçon par césarienne. A 39 ans diagnostic de maladie d'Hashimoto (maladie auto-immune de la thyroïde).
Sa vie
« Ma vie n'a pas été simple. Je suis l'aînée d'une fratrie de 2 enfants, j'ai un frère de 5 ans mon cadet. Mon enfance n'a pas été bien du tout. Ma mère avait 17 ans quand je suis née, elle était célibataire, a dû se marier à 16 ans et demi à cause de la grossesse. Elle était l'aînée d'une fratrie de 10 enfants, elle a perdu sa mère à 15 ans et son père à 17, électrocuté sur une moissonneuse batteuse. Elle a eu une vie difficile, mais ce n'était pas une raison pour me maltraiter. Quand elle s'est mariée elle a emmené le dernier de ses frères avec elle. Donc à 17 ans elle a eu son bébé et son frère à élever. A mes 5 ans mon frère est né. Alors ma vie s'est arrêtée, il n'y a plus eu de place pour moi. Il avait une grave malformation des uretères dont il a été opéré 8 ou 9 fois, il a passé le plus clair de son temps à l'hôpital pendant les 5 premières années de sa vie puis ensuite il est un peu revenu à la maison mais repartait souvent en urgence. Il n'était pas rare qu'en rentrant de l'école, je trouve la porte fermée à clé, sans aucune explication. Ma mère était inexistante pour moi, mais toujours sans explications. Après le dîner, elle disait bonne nuit, pipi et au lit. Jamais elle ne montait m'embrasser. Elle ne m'a jamais donné de tendresse, ni d'amour, elle était très dure, elle me frappait souvent. Un jour, j'avais 16 ans, je lui ai dit : tu recommences encore une fois et c'est moi qui te frappe, elle a arrêté. Je pense que mon père m'aimait, mais c'était un faible, il se rangeait toujours du côté de ma mère, jamais il ne m'a défendue. Au final je pense que mon père ne valait pas mieux qu'elle, il acceptait. Ils se disputaient sans cesse, il n'y avait jamais de marque de tendresse entre eux. A un moment, ma mère a eu des problèmes d'alcool.
Mes parents avaient des amis avec lesquels ils faisaient des soirées très alcoolisées. Il y avait des gestes déplacés, qu'une gamine comme moi n'aurait jamais dû voir. C'était très malsain. Ces images sont restées dans ma mémoire et reviennent. Cela perturbe une personne, on ne peut pas avoir une vie normale après tout cela. Et il a fallu survivre et j'ai l'impression que j'ai beaucoup occulté, j'ai très peu de souvenirs.
A 18 ans, j'ai fait une dépression et une tentative de suicide qui était un appel au secours. J'ai pris une plaquette de somnifères devant ma mère, j'ai déliré dans mon lit et quand je me suis réveillée je me suis rendu compte que mes parents avaient mis une chaise pour bloquer leur porte de chambre afin que je ne les dérange pas. C'est l'évènement le plus douloureux de ma vie.
A 19 ans je suis partie de chez moi, j'ai passé des concours administratifs pour aller travailler à Paris. Cela m'a sauvé la vie. Ma vie a commencé à 19 ans. Si je n'étais pas partie, je serais morte, je me serais suicidée.
J'ai rencontré mon mari et j'ai été enceinte. Je ne voulais surtout pas de fille, par peur de reproduire les rapports entre ma mère et moi. Et j'ai eu une fille ; aussi après mon accouchement, je n'étais pas bien du tout. De plus mon mari était souvent en déplacement, j'étais seule pour assumer ma fille, cela a été très dur. Pourtant, rétrospectivement, la naissance de ma fille a été l'évènement le plus heureux de ma vie, même si j'avais parfois des réactions de colère avec des cris, comme ma mère, après, je pleurais. Mon médecin a diagnostiqué une dépression et m'a prescrit des antidépresseurs que j'ai pris pendant un an, puis j'ai consulté un psychiatre et toute mon enfance est remontée. Après mon second accouchement, j'ai eu les mêmes symptômes, et repris 10 kgs en quelques mois. C'est à ce moment qu'a été fait le diagnostic de maladie d'Hashimoto. Il n'y avait jamais eu de problème de thyroïde dans la famille. »
Sa réflexion
« J'ai vécu avec un sentiment d'abandon, c'est le mot que j'emploie souvent : j'ai été abandonnée. J'ai toujours pensé que j'étais une erreur. J'étais celle qui avait gâché la jeunesse, la vie de ma mère. Elle n'avait pas voulu de moi. Un jour j'ai surpris une conversation téléphonique de ma mère qui disait : toi tu l'as voulu cet enfant, j'avais 11 ans. J'ai eu beaucoup de culpabilité enfant, je pensais toujours qu'elle était comme elle était à cause de moi, à cause de l'enfant qu'elle n'avait pas voulu. Puis j'ai eu de la culpabilité quand j'ai été mère et que, comme elle je me mettais en colère. J'avais l'impression que c'était la colère de ma mère qui passait à travers moi. C'est pas si simple de montrer quelque chose comme la tendresse qu'on ne vous a jamais montrée. Il fallait bien que tout cela retombe sur mon corps. Non ma maladie n'est pas tombée par hasard, c'est la continuité de la vie, de ma culpabilité.
Je ne vois plus mes parents depuis 2 ans. Depuis ce recul, j'ai compris que même si elle avait eu une vie difficile, même si elle avait été malheureuse, ce n'était pas une raison pour me maltraiter. J'ai compris que c'était elle qui avait couché avec un garçon à 16 ans, j'ai compris sa responsabilité et j'en ai moins de culpabilité. J'aurais pu l'aider en la faisant parler, elle n'a jamais eu d'aide. Je me suis toujours débrouillée toute seule, cela m'a donné la force d'affronter les choses. Il y a 2 ans j'ai perdu mon travail, cela a été un gros choc pour moi, c'était ma fierté d'avoir réussi à avancer sans études en passant des concours. Maintenant je suis assistante maternelle et j'ai le projet de monter une micro-crèche. J'ai aussi un projet d'aller passer du temps avec les enfants à l'hôpital. C'est une revanche sur mon enfance. »