ROMÉE
Dossier médical
A 25 et 28 ans naissance d'une fille, à 30 ans naissance d'un garçon. A 39 ans Polyarthrite Chronique Evolutive (maladie auto-immune articulaire), 3 synovectomies (ablation chirurgicale de la membrane synoviale), dernière poussée à 60 ans. A 68 ans mélanome cuisse.
Sa vie
« Je suis l'aînée d'une fratrie de 7 enfants, j'ai eu l'amour de mes parents. Je me suis mariée à 23 ans, j'ai fait un mariage d'amour. Mon mari était veuf, il avait un garçon de 9 ans. Nous avons eu notre petite fille, puis nous avons acheté une maison avec un jardin qui n'était pas encore clôturé. Un jour de printemps notre petite fille jouait dans le jardin quand brusquement, j'ai entendu un violent coup de frein, je suis sortie en trombe, ma petite fille avait été renversée par la voiture du voisin, elle est morte sur le coup. Une culpabilité énorme m'a envahie, elle avait 2 ans et 3 mois, j'en avais 27, sa vie lui avait été enlevée à cause de moi, je n'avais pas su la protéger, c'est injuste. Un instant vous êtes vivant, l'instant d'après vous êtes mort ! La culpabilité m'a rongée pendant des années et aussi la colère, la colère contre le voisin qui était au volant, la colère qui a été tue, ne pouvant pas être dite. Je ne voulais plus d'enfant, mais mon mari m'a décidée et nous avons eu nos deux autres enfants.
A 39 ans, brutalement j'ai eu mal aux poignets et mon médecin m'a rapidement diagnostiqué la PCE. Je me suis dit : 'Il y a des médicaments efficaces qui vont me permettre de continuer ma vie hyperactive comme avant', cela a été le cas et j'ai pu ne rien changer à ma vie. Puis à 46 ans j'ai refait une crise, puis d'autres qui m'ont valu 4 interventions chirurgicales. Seulement à ce moment-là, quand les traitements sont devenus moins efficaces, j'ai compris que j'étais actrice de ma maladie, il m'avait fallu 7 ans pour en comprendre le sens. J'ai compris que je devais revoir mon fonctionnement de vie, j'ai repéré ce qui m'aidait, ce qui pouvait me détruire. Ma maladie m'a surtout obligée à regarder la souffrance au fond de moi, car je voulais continuer à fonctionner à 100 à l'heure, sans la prendre en compte cette souffrance. Elle m'a obligée à prendre soin de moi, à regarder, à voir ce qui est essentiel, à savoir ce que l'on fait avec ce qui vous arrive. J'ai bien compris que la culpabilité et la colère entretenaient la maladie. Ma maladie m'a obligée à travailler sur ces émotions, elle m'a aidée à connaître mes limites, la maladie rend humble. J'ai vu une psychologue qui m'a beaucoup aidée à diminuer ma culpabilité et ma colère, maintenant je n'ai plus ces sentiments.
Une autre chose a pesé sur ma vie : un secret de famille. J'ai eu, enfant, un pressentiment qu'un secret planait sur la famille. Mon père et ma mère se disputaient souvent sous couvert de manque d'argent, en fait je sais maintenant qu'il y avait une autre raison. Après la mort de mes parents j'ai voulu éclaircir cette affaire. J'en ai parlé à mes frères et sœurs qui avaient eux aussi des bribes du mystère. Nous avons découvert un enfant illégitime de mon père, une petite fille. La maîtresse de mon père l'a confirmé et reconnu devant nous alors qu'elle avait toujours caché à sa fille qui était son père. J'ai rencontré ma demi-sœur, stupéfaite d'apprendre par nous qui était son père et répétant : 'Ma mère vous l'a dit, elle vous l'a dit !' Cette rencontre a été une émotion tellement forte qui m'a remuée dans tout le corps que j'ai cru que j'allais guérir, car cette rencontre m'a fait un bien énorme, m'a mise en paix, m'a éclairée sur la pesanteur du secret, car il m'a beaucoup pesé ce secret, c'était galère. J'étais certaine que cette mise à jour était importante pour moi, j'ai compris toutes les disputes de mes parents, j'ai compris la souffrance de ma mère qui ricochait sur moi, j'ai compris que la culpabilité que j'avais enfant de ne pas pouvoir apaiser cette souffrance n'avait pas lieu d'être, ce n'était pas de mon ressort. Cette rencontre avec ma demi-sœur a eu lieu à mes 61 ans. Merci de me faire remarquer que ma dernière crise de polyarthrite a eu lieu à mes 60 ans, voilà 10 ans. Curieusement, alors que je m'étais dit que je serais peut-être guérie après cette rencontre, je n'avais pas fait le rapprochement des dates et pas noté l'absence de crise depuis la dissipation du secret et de la culpabilité qui allait avec.»
Sa réflexion
« Maintenant je pense qu'il y a un lien entre ma maladie et ma culpabilité, celle d'enfant générée par le secret et celle d'adulte suite à la mort de ma fille. J'ai mis du temps à comprendre, mais si j'avais compris dès le début que je devais regarder ma souffrance en face, ne pas la nier, je pense que je n'aurais pas déclenché la polyarthrite.
Cela me touche énormément de voir quelqu'un qui s'occupe de l'autre partie de la médecine, de cette autre partie qui soigne aussi. A la question de votre thèse, la réponse est oui, notre santé nous parle de notre vie, c'est évident ! Il n'y a jamais eu aucune question du corps médical sur ma vie ; même si l'un d'eux parlait vrai, mais seulement de la maladie. Aucun médecin qui m'a suivie pour ma polyarthrite n'a su la perte tragique de ma fille. J'ai adhéré à l'association française des polyarthritiques dont je suis devenue la présidente. Nous avons fait un projet de patient-acteur, patient-ressource en éducation thérapeutique et notre projet a été accepté, un budget alloué. Après, cela a été très difficile au niveau de l'équipe soignante qui n'était pas prête, il y a une faille entre les soignants et les patients. Les soignants ont peur de nous les malades, ils nous tiennent à l'écart, nos questions parfois les dérangent, peut-être parce qu'ils commencent à sentir que le savoir de nos expériences vécues leur manque. A 68 ans cela a été trop dur, j'avais beaucoup investi, j'étais terriblement déçue, je n'y croyais plus, je sentais que je me détruisais, j'ai démissionné, car j'ai compris qu'on n'y arriverait pas, que les soignants n'étaient pas prêts. De plus une de mes amies participant au projet est morte d'un cancer du foie. Mon mélanome a surgi à ce moment-là. Lui non plus n'est pas arrivé par hasard.»