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DORA

Dossier médical

A 20 ans P : 59 kg pour T : 1,58. A 23 ans naissance d'un garçon par césarienne, à 25 et 26 ans naissance d'une fille par césarienne. Obésité, poids : 106 kg, taille : 1,58m, IMC :42, chirurgie bariatrique sleeve à 51 ans.

Sa vie

« Je suis née par césarienne, la troisième d'une fratrie de quatre enfants, j'ai deux sœurs aînées et un frère plus jeune de trois ans. Mes parents étaient pauvres, en fait c'était la misère, nous vivions dans une ferme. Nous ne sommes jamais allés en vacances, n'avons jamais fait de sport, n'avions aucun livre à lire, aucune ouverture sur le monde. Les enfants, nous sommes tous partis travailler à 13 ans. Sur la maison régnait une pudeur démesurée, le corps devait être caché, nous n'avions pas droit au short, au maillot de bain, nous ne sommes jamais allés sur la plage qui était à quelques kilomètres. Je n'ai jamais vu ni les jambes ni le torse de mon père. Je n'ai jamais eu de tendresse, aucune, jamais de câlins, de bisous, par contre des corrections avec violence il y en avait, surtout de mon père. Mon père frappait aussi les animaux de la ferme, il y avait de la violence en lui, bien qu'il ne boive pas. De ma mère il y en avait aussi, plus souvent mais moins forte. Je ne sais pas si mes parents m'aimaient, ils ne l'ont jamais montré en tout cas. Ils ne m'ont pas donné confiance en moi.

Eux non plus, n'en ont pas eu de l'amour. Ils ont tous les deux été orphelins de mère à 4 et 3 ans, les mamans sont mortes en couches toutes les deux à 25 ans. Ils ont été élevés par la nouvelle femme de leurs pères. Mon père a eu beaucoup de difficultés avec sa belle-mère. Ma mère a répété sans arrêt comme un leitmotiv que sa mère lui avait beaucoup manqué.

J'ai eu mes premières règles à 11 ans, je n'étais pas prévenue. J'ai été traumatisée par ce sang dont je ne comprenais pas la cause. C'était un jour de sortie scolaire, une journée de terreur, j'ai cru que j'allais mourir. J'en ai parlé à ma mère le soir en rentrant, elle m'a dit que c'était normal, sans rien de plus. Adolescente je ne me suis jamais projetée dans un rôle de maman, je ne voulais pas d'enfant. J'étais absolument terrorisée par l'accouchement, morte d'inquiétude pour ce moment et puis je ne me sentais pas à la hauteur pour élever des enfants. Cette tâche me semblait insurmontable. D'ailleurs mon père l'avait senti car un jour il a dit à ma tante : 'Je pense que Dora n'aura pas d'enfants.'

Je me suis mariée à 20 ans pour pouvoir vivre avec mon mari, car mes parents étaient très catholiques, une vie commune sans mariage aurait été un déshonneur pour eux et je n'ai pas eu le courage de les affronter sur le sujet. Je me suis mariée aussi pour quitter mes parents, car c'était difficile à supporter ce manque d'ouverture, ce manque d'éducation, d'études, je voulais vivre une autre vie. C'était un mariage d'amour et je suis toujours amoureuse de mon mari. Mais ce mariage n'était en aucun cas pour avoir des enfants, je n'en voulais pas. Mon mari a commencé rapidement à me dire que lui en voulait, nous n'en n'avions jamais parlé auparavant. J'ai dit : non. Mon mari a insisté, il en voulait absolument, j'ai accepté d'arrêter la pilule pour quelques mois car j'avais peur qu'il s'en aille si je m'obstinais dans mon refus même si j'avais toujours une peur terrible de l'accouchement et de ne pas être à la hauteur. J'ai été enceinte rapidement et la grossesse s'est passée. Quand on m'a annoncé la césarienne à cause de mon bassin trop étroit, j'en ai été ravie. Pour les autres grossesses, j'ai eu moins peur, elles se sont bien passées. Même maintenant que mes enfants sont grands, j'ai toujours l'impression de ne pas avoir été à la hauteur de ma tâche, car moi aussi j'ai frappé mes enfants, je ne leur ai pas assez dit que je les aimais, c'est sûr, on ne le dit jamais assez aux enfants qu'on les aime, je n'ai pas été assez maternelle. Je n'ai pas assez communiqué avec eux, comme je pense que mes parents n'ont pas assez communiqué avec moi, je n'ai jamais parlé des vraies choses de la vie avec eux. J'ai un petit-fils depuis 2 ans et j'essaie de faire ce que je n'ai pas fait avec mes enfants. »

Sa réflexion

« J'ai commencé à grossir quand je me suis mariée, cela a été la descente aux enfers du poids, j'ai pris 30 kg en 10 ans. A 30 ans je pesais 89 kg, maintenant 106 et je suis montée à 120 kg. Je ne sais pas pourquoi j'ai commencé à grossir après mon mariage. Je considère que mon mariage et le fait de quitter mes parents ont été, pour moi, les évènements heureux de ma vie. Par contre, après mon mariage, j'ai compris deux choses qui ont été très difficiles pour moi : d'abord que lui voulait des enfants et moi je n'en voulais pas. Ensuite que j'étais beaucoup plus amoureuse que lui, ce qui est toujours le cas. Je ne me suis jamais sentie assez aimée et ce, à tous les étages de ma vie. Même si j'ai eu peur qu'il s'en aille, j'ai proposé à mon mari de partir s'il le souhaitait car je sais qu'il en a ras-le-bol de vivre avec une grosse. Néanmoins je ne peux pas m'empêcher d'avoir des crises de boulimie terribles, de manger d'une façon délirante. Manger apaise mes angoisses. Quand je suis seule chez moi je mange sans pouvoir m'arrêter, je ne mange jamais démesurément chez les autres, comme quelqu'un qui boit en solitaire. Je n'aime pas mon corps, comment on pourrait l'aimer, mais cela ne m'arrête pas.

Quelque part j'ai peur de maigrir car je pense que si on mange c'est pour compenser quelque chose et je me demande si, pour moi, c'est de ne pas m'être sentie aimée. Mon mari, lui, a eu des parents très aimants et il a une femme amoureuse de lui. J'ai peur de perdre la tête en maigrissant, cela m'angoisse. Dans la famille j'ai un oncle qu'on a fait maigrir avec succès pour un problème cardiaque, mais après son amaigrissement, à 77 ans, il s'est pendu. Après un fort amaigrissement, une de mes tantes a été hospitalisée en psychiatrie, une autre a perdu la parole. Mais je suis quand même décidée pour l'intervention même si j'ai perdu 15 kg depuis 9 mois que je vois un psychologue qui me fait du bien. Je me suis mise à faire du sport, de la piscine, j'y vais avec plaisir 3 fois par semaine, je fais moins de crises de boulimie et je pèse 106 kg au lieu de 120.»

Revue 9 mois après la chirurgie bariatrique. Poids : 68 kg, IMC : 28.

« J'ai du mal à me reconnaître dans mon nouveau corps. Je me sens très fatiguée et je suis angoissée, j'ai très peur de regrossir car les envies de manger sont toujours là. Quand j'étais enfant, je devais sans cesse travailler, être dans le faire et moi j'aurais voulu passer mon temps à rêver, à lire. Un livre c'est l'évasion, le rêve ; mais c'était un luxe inaccessible à la maison où c'était la misère. Le plus beau cadeau de Noël que j'ai eu, c'était un livre. Maintenant je culpabilise de rester à lire ou sans rien faire, puisque enfant on ne me l'a jamais permis, c'est une véritable angoisse. Pour calmer ces angoisses, j'ai envie de manger, non, pas de manger, mais de bouffer, cela me calme. J'ai très peur car je pense qu'on a traité le corps, mais pas l'angoisse qui est toujours là

Tous les noms propres ont été anonymisés.