ARSINOË
Dossier médical
Endométriose sévère diagnostiquée à 28 ans par cœlioscopie. Naissance d'une fille après FIV à 36 ans. A 39 ans naissance de jumelles de 1,8 et 2,1 kg à 35 semaines d'aménorrhée par césarienne pour pré-éclampsie, grossesse après FIV don d'ovocyte, insomnies pendant la grossesse.
Sa vie
« Je suis la troisième d'une fratrie de 4 enfants, j'ai 3 frères. J'étais fière de mes frères, je m'identifiais à eux, j'ai toujours été un garçon manqué. Je n'étais pas féminine du tout. Un jour à 15 ans je me suis maquillée, mes frères ont rigolé, je ne l'ai plus jamais refait. Dès mon enfance, j'ai eu des problèmes de sommeil. Je me souviens quand je me réveillais j'allais attendre à la porte de la chambre de mes parents où je pouvais passer une partie de la nuit. Vers 3 ou 4 ans j'ai commencé à faire un cauchemar, toujours le même : une sorcière qui met le feu à la maison. J'en ai fait 3 ou 4 par mois jusqu'à l'âge de 20 ans. J'ai eu l'amour et la tendresse de mes parents, ils étaient présents, attentifs. Mon père avait débuté ses études tardivement, c'est ma mère qui travaillait et ramenait le salaire à la maison le temps de ses études qu'il a terminées quand j'avais 6 ans. Dès ma petite enfance, j'ai été abusée par mon grand-père paternel qui m'a fait des attouchements, des viols répétés. Je ne sais pas exactement quand cela a commencé, peut-être 4 ans, peut-être avant, il me disait que c'était normal, il me donnait une récompense, du chocolat. Cela a duré jusqu'à mes 11 ans, j'ai réussi alors à avoir la force de lui dire non. Peu de temps après il a fait un infarctus, j'ai beaucoup culpabilisé. J'y pense souvent. Je n'en ai pas parlé car je ne pouvais pas : d'abord je ne savais pas ce que c'était et ensuite il m'avait dit de ne pas le dire, que la police pourrait venir si je le disais.
A mes 12 ans j'ai senti, j'ai vu ma maman en danger sans savoir pourquoi, elle est devenue dépressive, a perdu beaucoup de poids, j'ai compris pourquoi même s'ils n'en ont jamais parlé : mon père avait une maîtresse, il est parti puis revenu. Ensuite quand j'ai eu 18 ans, il est parti avec sa secrétaire. Au début ma mère a eu des aventures mais qui sont restées sans lendemain car elle a voulu nous protéger. Elle a privilégié sa vie de mère plutôt que sa vie de femme.
J'ai eu mes premières règles à 12 ans, elles n'ont pas été les bienvenues, j'ai eu un sentiment de honte. Deux ans plus tard elles sont devenues extrêmement douloureuses, je n'allais jamais à l'école le premier jour tellement j'avais mal. Puis il y a eu cette endométriose qui m'a fait beaucoup souffrir jusqu'à ma première grossesse à 36 ans.
A 17 ans je suis allée chez le parent d'une amie et me suis retrouvée seule chez lui, il a eu des gestes déplacés et je n'ai pas été capable de dire non. Je n'ai pas eu la capacité de le faire, j'ai vécu ce moment comme quelque chose d'irréel qui n'était pas moi, j'en ai profondément honte. A 20 ans j'ai vécu un autre moment très difficile, une de mes amies a accaparé ma vie, elle empiétait sur ma vie, copiait ma vie, faisait tout exactement comme moi. J'ai eu un sentiment d'impuissance, peut-être comme une résonance avec mon grand-père, j'ai cru devenir folle. J'ai eu de la haine.
A 18 ans je suis sortie avec un homme, la relation qui a duré 4 ans a été conflictuelle, j'ai accepté des choses que je n'aurais pas dû. Il était verbalement très dur, il me rabaissait. Son comportement laissait penser qu'il ne fallait pas lui résister, j'avais peur, j'avais peur qu'il soit violent et je savais qu'il pouvait l'être. Il m'est arrivé d'avoir des rapports sexuels sous la contrainte, je le lui ai formulé avoir l'impression d'être violée. Ensuite je suis sortie avec un autre homme pendant 6 ans, lui était alcoolique, drogué. J'ai su au bout de 2 années qu'il ne serait pas l'homme de ma vie. J'ai décidé de le quitter mais sa sœur de 35 ans est morte d'une rupture d'anévrisme, je n'ai pas pu partir. Il était très fragile, je ne voulais pas qu'il finisse sous les ponts. J'ai attendu 4 autres années avant de réussir à le quitter, cela a été la descente aux enfers. Je me suis sauvée, j'ai sauvé ma peau en partant, je n'en pouvais plus.
Je suis restée 3 ans célibataire avant de rencontrer mon mari, nous avons rapidement souhaité un enfant. J'ai dû avoir une FIV qui a entraîné une grossesse dès la première tentative. Ma première grossesse s'est bien passée. Il a fallu 4 FIV et un don d'ovocyte pour obtenir la seconde grossesse qui elle s'est mal passée. Pendant cette grossesse, je savais que je n'allais pas bien, je ne voulais pas accoucher, je ne me sentais pas bien, j'ai eu des nausées, des douleurs d'estomac, des douleurs de dos, des mycoses vaginales, des douleurs dentaires et puis j'ai eu un syndrome du canal carpien des 2 côtés. J'ai pris 27 kg pendant la grossesse dont 15 dans les dernières semaines. Le pire de tous les symptômes était l'insomnie, je dormais 3 ou 4 heures par nuit et ce sommeil n'était pas du tout réparateur. Je sentais que mon corps allait lâcher, je n'ai pas été surprise de faire une pré-éclampsie. J'étais très inquiète mais je n'ai pas voulu en parler. Je me sentais assaillie de questions sans réponses : est-ce que j'aimerais les jumelles pareillement ? Comment je pourrais leur apprendre ce don ? Du fait du don d'ovocyte : est-ce que je les aimerais autant que mon autre enfant ? J'ai eu beaucoup de crainte de cela, maintenant je sais que cette crainte n'avait pas lieu d'être mais pendant la grossesse je ne le savais pas. Mon entourage ne sait pas que la grossesse a été obtenue après don d'ovocyte alors que j'assume complètement, cependant c'est une honte pour moi de le tenir caché. De plus je savais que c'était ma dernière grossesse et cela ne me plaisait pas du tout, il y a un deuil que je n'arrivais pas à faire et qui d'ailleurs n'est toujours pas fait. Pendant la grossesse mon inquiétude a été telle que j'ai dit à mon mari : 's'il m'arrive quelque chose je veux que tu refasses ta vie, je veux aussi que mes enfants continuent à voir ma famille'. Et puis il y avait une autre inquiétude : j'avais lu que les gens abusés deviennent des abuseurs, j'ai eu peur de l'être un jour. Je sais maintenant que non je ne le deviendrai pas. Mais cela ne m'empêche pas d'avoir peur pour mes filles, j'ai déjà commencé à en parler à mon aînée. »
Sa réflexion
« Je n'avais jamais fait le lien entre l'endométriose et ma vie d'enfant, mais si on l'envisage, cela me parle bien. Les évènements les plus difficiles de ma vie sont ces viols successifs, j'ai de la colère. Je pense que j'aurais pu ne jamais en parler, c'était inconcevable de le dire, mais à mes 19 ans une amie m'a fait parler et j'ai réussi à le dire. Ensuite j'ai pu en parler à ma mère. Elle m'a avoué avoir pensé me poser la question parce qu'elle l'avait intuitivement ressenti, mais qu'elle n'avait pas osé. Ensuite j'ai prévenu mon père. Mes frères le savent par ma mère, mais je n'ai pas réussi à le leur dire directement. L'endométriose pourrait me rappeler cette douleur physique et morale que j'ai eue petite. Je n'ai jamais été féminine : est-ce que je voulais me protéger me cacher, me préserver ? Je pense aussi que ces épreuves peuvent mettre des barrières à la maternité, la grossesse. Cette blessure on la porte toujours, même si elle ne fait plus souffrir quotidiennement. La première étape de guérison pour moi a été quand j'ai pu le dire à 19 ans. La seconde étape a été ma première grossesse, je souffre beaucoup moins depuis. J'ai lu qu'en effet la grossesse guérit souvent l'endométriose. Vous me demandez si je peux vous expliquer pourquoi la grossesse qui est une inondation hormonale pourrait guérir l'endométriose alors que le traitement classique est la mise en ménopause artificielle ? .....Parce que.... la grossesse pourrait guérir la blessure.... (pleurs), cela me parle bien.... Cet entretien va me faire beaucoup réfléchir. Avec cet entretien, j'ai l'impression que je vais pouvoir clôturer des vieux dossiers, oui clôturer. »