LENA
Dossier médical
A 12 ans chirurgie d'un kyste de l'ovaire. Algies abdomino-pelviennes inexpliquées. Cystites à répétition. Troubles du comportement alimentaire. A 25 ans dépression hospitalisation 6 mois en psychiatrie, sous antidépresseurs depuis, plusieurs autres épisodes dépressifs. Crises de panique ; pensées suicidaires. Cancer du mésentère à 62 ans.
Sa vie
« Enfant, j'habitais dans la Creuse, dans une ferme. J'ai été violée par mon grand-père paternel quand j'avais 11 ans, lui en avait 70. Il m'avait envoyée dans la cave chercher quelque chose et il m'a rejointe pour me violer, mais c'était mou, je n'ai pas saigné. Il a recommencé une autre fois, j'entends encore le clac de la serrure quand il a fermé la porte à clef, j'étais terrorisée. Cette seconde fois, il a mis la langue, j'ai ressenti un peu de plaisir, et me suis sentie coupable pour le reste de ma vie, j'ai été laminée ma vie durant par une culpabilité écrasante. Je me suis sentie tellement salie, dévalorisée. Je n'ai rien dit à personne, j'avais honte, j'avais peur de la réaction de mon père, il aurait peut être tué mon grand- père. Je voulais si fort me taire que, l'année qui a suivi, je suis restée muette, et quand je me suis remise à parler, je bégayais. Je me suis voûtée pour cacher mes seins, j'ai fait des crises de boulimie, j'ai pris 10 kg dans l'année. J'étais obsédée par la peur d'être enceinte car je me suis rendu compte que mon ventre grossissait, j'étais littéralement terrorisée, même si je n'avais encore jamais eu mes règles, mais je n'étais au courant de rien. Un jour mon médecin traitant ayant repéré mes rondeurs m'a fait venir à son cabinet, m'a adressée à l'hôpital le plus proche, puis ils m'ont envoyée à Paris où j'ai été opérée d'un kyste de l'ovaire qui pesait 1 kg 500, j'avais 12 ans.
J'ai eu mes premières règles à 14 ans, très douloureuses, elles ont été un vrai choc, un traumatisme, j'ai eu peur à la vue du sang, j'ai pensé tout de suite à mon grand-père. Je me suis fait disputer comme si j'avais fait quelque chose de grave parce que j'étais tachée, l'ombre de mon grand-père planait sur moi. Peu après j'ai été punie car j'avais mis les pieds dans l'eau alors que j'avais mes règles, là encore on m'a traitée comme si j'avais fait quelque chose de grave. Mes règles sont restées douloureuses toute ma vie. Mon adolescence a été gâchée. A 16 ans, j'ai subi des attouchements par un copain de mon grand-père qui était routier et qui me prenait dans son camion pour me ramener de l'école chez moi.
J'ai eu mon premier rapport sexuel à 25 ans, il s'est très mal passé, j'ai tout de suite pensé que c'était à cause de mon grand-père. J'ai eu une deuxième aventure avec un homme et je me suis rendu compte au bout d'un moment qu'il était marié, j'ai fait une grave dépression, j'ai pensé au suicide. J'ai été hospitalisée en psychiatrie 6 mois, mais je n'ai pas pu en parler au psychiatre. J'ai commencé à ce moment-là à prendre des antidépresseurs que je prends toujours depuis. Quand je rencontre un homme, je regarde toujours ses mains, je vois celles de mon grand-père. Avec le troisième homme, cela n'a pas duré non plus car il était alcoolique, je l'ai quitté, mais suis restée dans la même ville à cause de mon travail. Comme il me harcelait, j'ai dû déménager et j'ai perdu mon travail. J'ai fait une nouvelle dépression. Avec le suivant, nouvel échec, il était maladivement jaloux. Un jour qu'il me suivait, je l'ai repéré dans un endroit qui m'a évoqué la cave dans laquelle mon grand-père me violait, j'ai fait un malaise, une crise de panique, j'étais tétanisée, je ne pouvais plus bouger. J'ai pu téléphoner au psychologue que je voyais à ce moment-là pour qu'il vienne me chercher. J'ai de nouveau fait une grave dépression. Pour le compagnon suivant, j'ai été une proie, il m'a utilisée, nous avions un café, je travaillais sans cesse sans raison sociale, et lui allait se promener. Je suis partie. Je vis actuellement avec un homme depuis 17 ans, gentil, ni buveur, ni jaloux.
Quand mon grand père est mort, j'ai été heureuse, le jour de son enterrement, je me suis bien amusée, enfin j'étais débarrassée, je suis allée piétiner sa tombe. Il est mort accidentellement heurté par une voiture. Il n'a pas été enterré près de ma grand-mère, car elle avait dit avant sa propre mort qu'elle ne le voulait pas. Je pense qu'il lui en a fait baver. Dans la société du milieu du siècle dans la Creuse à la campagne, c'était l'omerta. J'ai retrouvé un document qui stipulait que je devais aller régulièrement porter du beurre à mon grand-père qui habitait un peu plus loin de chez moi, alors qu'il avait déjà violé sa fille aînée qui s'est mariée à 18 ans pour quitter la maison et a divorcé un an plus tard. Ma propre mère m'a avoué un jour que, quand elle était arrivée à la ferme, elle devait s'enfermer à clef quand elle était seule avec le grand-père. Je me souviens aussi avoir entendu quelqu'un dire à ma mère : 'Vous ne devriez pas la laisser avec ce routier', mais rien n'a changé, tout le monde se taisait. Je n'ai pas eu d'enfant, cela a été un choix, je n'en ai pas voulu, j'avais été rendue trop fragile, pas assez forte pour élever un enfant.
J'ai pu en parler à mon père seulement à 42 ans, cela m'a libérée, mais aussi tuée une seconde fois, car quand je lui ai dit : 'Tu m'as mise entre les mains d'hommes,' il m'a répondu : 'C'est du passé, n'en parlons plus.' Heureusement que je lui ai dit ses 4 vérités sinon je serais allée piétiner sa tombe à lui aussi. »
Sa réflexion
« J'ai pu parler de ce viol à 40 ans : une femme médecin remplaçante, me voyant avec mes antidépresseurs a compris que quelque chose n'allait pas. Elle m'a proposé de voir un psychiatre et j'ai pu le lui dire. Je pense que je n'aurais pas pu m'en sortir sans cela. Je pense que ce qui s'est passé avec mon grand-père m'a empêchée de me défendre avec les hommes. Tous mes échecs me ramenaient à mon grand-père, je pense qu'il m'a coupé les ailes. Ma vie sexuelle a été un échec complet, je n'ai pratiquement jamais eu de jouissance, car la jouissance était culpabilité. Mon compagnon alcoolique avait peu d'érections, cela m'arrangeait bien. Je pense que sans thérapie, je n'aurais pas réussi à avoir la force de le quitter, je ne m'en serais pas sortie toute seule. Quand j'ai quitté mon compagnon alcoolique, il a essayé de se pendre, je lui ai mis 2 claques et lui ai dit : 'Tu ne vas pas me faire du chantage !' La thérapie m'a sauvée, je n'ai plus peur des hommes.
Récemment, j'ai tourné une autre page en me faisant tatouer les sourcils. Mon grand-père avait dans le village une maîtresse dont il a eu une enfant illégitime qu'il a appelée Jeanne comme une de ses propres filles, qui a appris très tard cette forfaiture. Cette enfant était dans la même école que moi, nous nous ressemblions beaucoup, étions toutes les deux très velues. Pour moins lui ressembler, sans cesse je me rasais sans cesse les sourcils et à force, ils n'ont plus repoussé. J'étais obligée de faire un trait chaque jour, ce qui me rappelait à chaque fois mon grand-père. Depuis que mes sourcils sont tatoués, je n'ai plus à faire ce geste chaque jour.
Etant donné les dépressions successives j'ai eu une carte d'invalidité à 42 ans. J'avais honte de l'avoir, de l'accepter. C'était comme si mon grand-père était toujours là. Votre thèse est très importante pour moi, d'abord parce que j'ai pu vous parler, et ensuite parce que c'est important pour moi de témoigner. Quand votre thèse sera terminée, ce sera la fin de mon calvaire, je pourrai enfin tourner la page. » (Grande émotion, pleurs+++).