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STELLA

Dossier médical

A 10 ans énurésie secondaire. A 16 ans troubles du comportement alimentaire, boulimie. A 31 ans naissance d'une fille, à 34 fausse couche, à 35 IVG. A 35 ans mycoses vulvaires incessantes. Idées suicidaires, cauchemars. Cystites post-coïtales incessantes motivant une méatoplastie à 35 ans qui entraîne une diminution passagère puis récidives, avec pyélonéphrites à répétition. Algies pelviennes invalidantes motivant de très nombreuses consultations. Dyspareunie profonde ; sécheresse et douleurs vulvaires.

Sa vie

« Je suis issue d'une lignée de femmes abîmées, détruites par les hommes depuis 3 générations. Ma grand-mère a été abandonnée par son mari qui avait eu, avant de la quitter, l'audace d'amener chez lui sa maîtresse avec qui il avait du sexe devant les enfants, donc devant ma mère ! Quand il a quitté le domicile, ma mère qui avait 12 ans s'est énervée contre lui, il a alors tenté de la tuer avec une lame de rasoir, il l'a blessée au cou, elle n'a jamais revu son père. Ma grand-mère est restée seule pour élever les 3 enfants, elle a fait des ménages puis est morte de chagrin à 55 ans, ma mère en avait 19.

Ma mère a eu une enfance difficile avec un père qui, avant de s'en aller, la punissait beaucoup, elle s'est souvent retrouvée dans un cachot tout noir avec un bol de soupe. Une fois, sa petite sœur est tombée dans l'eau de la rivière et a failli se noyer, ma mère a réussi en la tirant par les cheveux à la ramener sur la berge et la sauver. Son père lui a dit que c'était sa faute si l'enfant était tombée et l'a mise au cachot. Elle a eu son premier enfant à 16 ans et un second à 19 ans, son mari est mort à 20 ans, fusillé pendant la guerre, elle est donc restée veuve à 19 ans avec deux enfants. Elle s'est remariée à 35 ans et a eu mon frère et moi 4 ans plus tard. Elle était bipolaire et a fait de nombreuses tentatives de suicide. Ma mère m'a toujours mise dans un état d'insécurité permanent. Je ne me suis jamais sentie aimée par mes parents. Mon père ne m'a jamais dit : 'Je t'aime', il n'a jamais eu un geste de tendresse pour moi.

Quand j'avais 8 ans, mon frère de 4 ans mon aîné a commencé à me faire des attouchements très douloureux. Il m'immobilisait, me regardait avec une lampe, me tripotait avec les mains, j'avais mal. Je me suis remise à faire pipi au lit et ce jusqu'à 9, 10 ans. J'ai commencé à cette époque à avoir des brûlures vulvaires. J'ai essayé d'alerter mes parents en ayant un accident de vélo avec une blessure vulvaire, je voulais qu'on se rende compte, qu'on voie que j'étais abîmée, le message n'a pas été entendu. Je pense qu'il y avait un accord tacite, une permission de mes parents pour mon frère. Il a commencé à me violer quand j'ai eu 12 ans, c'était douloureux, il m'interdisait de bouger, il me maintenait immobile, il me faisait mal, il me séquestrait. Je ressentais qu'il allait profond en moi, mais je ne sais pas s'il m'a réellement déflorée car quand j'ai eu mon premier rapport sexuel consenti j'ai un peu saigné. L'image de l'homme qui prend brutalement sans demander votre avis m'a poursuivie toute ma vie. Quand on est violée par un inconnu, on peut se situer en victime, mais quand il s'agit de votre frère qui vous dit qu'il vous aime et qu'on aime aussi, qui est le fils chéri de sa mère, on a du mal à se situer et on n'a pas les mots pour le dire. J'ai pensé : 'Comment un grand frère pourrait-il faire du mal à sa petite sœur ?' De plus, il était le seul qui s'intéressait à moi. Je ne comprenais pas, je ne savais pas, j'étais perdue. A 12 ans après le viol j'ai eu très peur d'être enceinte, après je me suis habituée au risque, je n'ai pas été enceinte. A 14 ans, j'ai pu être participante, cela a duré jusqu'à 18 ans, l'âge où mon frère a quitté la maison. La honte, la culpabilité m'ont alors envahie, j'ai été écrasée par ces sentiments, par une dévalorisation de moi-même extrême. J'avais en même temps un sentiment d'abandon, j'étais tellement seule.

Je n'ai pas pu en parler, comment mettre des mots ? Je l'ai dit pour la première fois ici à vous ma gynécologue, à 42 ans. Je vous remercie beaucoup de m'avoir écoutée, le fait d'être entendue vous fait reprendre espoir, dès qu'on se sent soutenue avec un regard acceptant, on va mieux. Le premier départ de la guérison c'est la mise en confiance. On va alors commencer à comprendre que cela a du sens, qu'on n'est pas folle. Aucun médecin ne m'avait posé la question d'abus, d'une violence éventuelle, auparavant.

J'ai eu mes premières règles à 12 ans et j'ai eu rapidement un syndrome prémenstruel avec un œdème pelvien très important, comme si je voulais protéger toute cette région en l'enrobant pour la rendre moins accessible. J'ai eu mon bac à 16 ans et demi, je voulais faire des études, mon père n'a pas voulu. Je suis restée chez mes parents qui m'ont séquestrée pendant 2 ans, j'étais témoin de leurs querelles incessantes dont ils m'accusaient. J'étais dans une solitude extrême, je sombrais, j'avais des troubles du comportement alimentaire, j'ai oscillé entre 53 et 78 kg pour 1,69 m. J'ai volé dans les magasins**,** juste pour avoir une conduite à risque, comme un appel au secours. J'avais des TOC de propreté, de ménage. C'est mon demi-frère aîné qui est venu me secouer et me demander ce que je faisais là avec mes parents, il m'a donné la force de partir. J'ai commencé à ce moment des études d'infirmière.

J'ai rencontré ensuite mon futur mari et j'ai eu mon premier rapport à 19 ans, il s'est passé sans problèmes, mais en fait pour mes rapports sexuels, je ne suis pas là, mon corps n'est pas là, je suis décorporée car la seule façon de survivre à 10 ans d'inceste douloureux brutal est de se dédoubler. Je n'ai de ma vie sexuelle jamais eu d'orgasme. Avec mon mari que j'ai épousé à 20 ans, j'ai été heureuse quelques années, à ce moment-là je n'avais pas trop de problèmes vulvaires. Après ma fille j'ai souhaité un second enfant, mon mari n'en voulait pas. Je lui ai dit : 'J'arrête la contraception, c'est toi qui l'assureras dorénavant.' J'ai été enceinte, il m'a alors imposé très brutalement une IVG, la peur m'a fait accepter, il ne m'a pas du tout épaulée. Cette grossesse a été stoppée par une IVG à cause de la peur de la mère et le non-désir du père. Puis les choses se sont détériorées, mon schéma de base était que pour être aimée il fallait se laisser détruire, mon mari a commencé à demander des rapports sexuels brutaux, sadiques, avec ceinture. La sécheresse, les brûlures vulvaires sont devenues invalidantes, les médecins m'ont parlé de vestibulite, l'un m'a dit : 'Quand on a cela, on ne guérit pas, on l'a toute sa vie.' En fait j'ai compris depuis que les douleurs vulvaires ne sont pas une réalité, mais la peur de retrouver les douleurs de l'abus. Les cystites, les pyélonéphrites m'ont obligée à consulter de très nombreuses fois. A certaines périodes de ma vie, notamment quand les rapports avec mon mari sont devenus brutaux et même sadiques, j'ai pu faire deux cystites, voire deux pyélonéphrites par mois. Il s'agissait bien de pyélonéphrites car je pouvais avoir 39° de température, j'étais sous antibiotiques la moitié du temps. La méatoplastie a fait un peu diminuer les cystites au début, puis elles sont revenues ainsi que les pyélonéphrites jusqu'à ce que mon mari se fasse opérer d'un cancer de la prostate et que nous n'ayons plus de rapports.

J'ai eu également pendant des décennies des douleurs abdomino-pelviennes étiquetées colite sur colon irritable. Les médecins m'ont proposé une coloscopie à plusieurs reprises que j'ai refusée. J'ai eu aussi des sinusites à répétition, des angines à répétition. J'ai passé toute une partie de ma vie de médecin en médecin, de consultations en examens. Comme vous n'arrêtez pas d'être malade, vous voyez beaucoup de médecins et ils en ont marre de vous voir. Parfois ils vous renvoient leur incompréhension qui aggrave dangereusement le problème à cause d'une confiance en soi déjà tellement détériorée, donc on change de médecin pour noyer le poisson. Cela se perpétue tant qu'on reste incomprise. J'ai eu le même médecin traitant pendant 10 ans, il n'a rien compris alors que j'avais l'impression que la souffrance me sortait par tous les pores de la peau. J'avais le sentiment que mon corps ne m'appartenait pas et pourtant qu'il voulait dire quelque chose. Je faisais fréquemment des cauchemars : je rêvais que je me noyais, que des gens venaient me poignarder, que je tuais ma fille, ma mère.

A 45 ans j'ai divorcé, j'ai voulu mourir, je voulais le faire discrètement à cause de ma fille, j'avais décidé de me détruire dans un accident de voiture. J'étais dans une très grande solitude, je n'avais aucun espoir. Au bord du précipice j'ai reculé, l'existence de ma fille m'a empêchée de me tuer, elle m'a sauvée. J'avais pu lui en parler, mettre les choses au clair, c'était un an après avoir, pour la première fois, révélé mon secret. Elle avait 12 ans, l'âge du premier viol, l'âge qu'avait ma mère quand son père a failli la tuer.

J'ai fait des séances d'hypnose qui m'ont aidée. J'ai arrêté de me dire que c'était la faute des autres et j'ai pu enfin révéler le secret à ma famille pour ne pas mourir, car j'allais mourir. Mon frère a refusé de l'entendre, il a tout nié en bloc. Mon père, dans un premier temps a bien pris la chose, il a été correct, il s'en doutait. Ensuite quand j'en ai reparlé, il m'a dit : 'Arrête de détruire ta mère, arrête de parler de cela !' Ma mère n'a pas voulu imaginer que son fils chéri ait fait cela, elle l'a protégé, elle a tout refusé en bloc. Elle ne m'a plus adressé la parole pendant trois mois. Puis elle s'est décidée à me dire quelques mots : 'S'il ne t'a pas déflorée ce n'est pas grave.' »

Sa réflexion

« Je pense que si à l'école on m'avait expliqué que mon corps n'appartenait qu'à moi, que personne n'avait le droit de le toucher sans mon accord, cela ne serait pas arrivé. Le processus de réparation idéal est le procès pour être reconnue comme victime, pas pour tomber dans le plaintif mais pour pouvoir enfin passer à autre chose. Pour moi, pour le procès il est trop tard. J'ai fait beaucoup de travail sur moi-même, seule avec mes lectures. Il y a quelques années, j'ai fait, pendant 2 ans, une TCC (Thérapie Cognitivo Comportementale) qui m'a sauvée, les symptômes ont diminué progressivement. J'ai pardonné à mon frère à qui je reparle depuis un an, à mes parents, à moi-même. De plus, j'ai eu un autre partenaire beaucoup plus doux et j'ai été progressivement beaucoup moins gênée par tous ces symptômes. J'ai rencontré le vrai homme de ma vie, il m'a rendu ma féminité, les rapports se passent bien. Depuis quelques mois tous les symptômes invalidants ont complètement disparu : douleurs, cystites, pyélonéphrites, problèmes vulvaires, je suis guérie de ma vestibulite. J'ai compris le sens, je vais bien. La vraie Stella que j'avais abandonnée peut s'épanouir. La souffrance peut, si vous en faites le choix, vous emmener vers la maladie, la mort, ou bien être génératrice d'une prise de conscience, qui, par le pardon à soi et aux autres vous permet de passer à autre chose, vous redonne confiance en la vie. Je suis au bout de mon chemin, et aujourd'hui, je suis venue ici déposer mon dernier fardeau pour votre travail. »

Tous les noms propres ont été anonymisés.