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Dossier médical

Algies abdomino-pelviennes dès la petite enfance motivant de très nombreuses consultations, plusieurs hospitalisations et une appendicectomie à 16 ans. A 16 ans début des cystites qui seront à répétition jusqu'à la première grossesse. Désir de grossesse pendant 6 ans entre 22 et 28 ans : 2 fausses couches et 2 enfants à 24 et 28 ans. Hallucinations ; pensées suicidaires. A 31 ans maladie de Basedow (maladie auto-immune de la thyroïde). A 34 ans dépression, cauchemars, arrêt de travail 7 mois.

Sa vie

« Ma mère avait 17 ans et demi quand je suis née. Elle était partie jeune fille au pair à 16 ans, elle est revenue avec le gros ventre : c'était moi ; elle a tenté une IVG qui a raté. Malgré les conseils de ses parents qui connaissaient mon père, ne voulaient pas du mariage, et lui avaient proposé une aide pour élever l'enfant, elle a épousé mon père après ma naissance. A 25 ans elle s'est retrouvée seule avec 5 enfants, 5 enfants en 6 ans et demi et elle a fait une IVG pour la sixième grossesse. J'étais l'aînée, j'avais deux frères et ensuite deux petites sœurs, j'ai vécu ma place d'aînée comme un fardeau. Mon père était très violent contre ma mère et contre nous. Je me souviens d'un jour où mon père a battu ma mère et lui a ouvert la joue, cette scène est marquée dans ma mémoire, ma mère a été hospitalisée plusieurs jours. Pendant ce temps, mon père a pu faire ce qu'il voulait, il nous a privés de manger et une nuit, il m'a sortie du lit à 2 heures du matin, m'a emmenée en voiture, m'a abandonnée sur la route. Nous étions en plein hiver, c'est la police qui m'a ramassée ; en fin de nuit mon père est venu me chercher au poste, et les policiers m'ont laissé repartir avec lui ! Je ne comprenais pas pourquoi les policiers laissaient un papa emmener sa petite fille qu'il avait abandonnée sur la route en pleine nuit, j'avais peur. J'ai pris une rouste derrière car il voulait savoir ce que j'avais dit aux policiers. Je ne sais toujours pas pourquoi ils m'ont laissée repartir avec mon père !

En plus des coups, il me faisait des attouchements avec pénétration des doigts, mes premiers souvenirs remontent autour de 4 ans. Il m'expliquait que c'était normal, qu'un papa devait apprendre cela à sa fille pour qu'elle devienne une bonne épouse. J'en ai juste parlé à une petite copine, elle était comme moi en CP et son papa était gendarme. Je lui ai demandé si son papa lui faisait ce que faisait le mien, et qui me faisait mal, qui me faisait peur. Elle m'a dit que non ; je ne savais pas quoi faire, mon père nous avait isolés du reste de la famille. Je me suis tue, je protégeais mes deux petites sœurs plus jeunes que moi, je me disais : 'Moi je suis la grande, pendant ce temps il ne fait pas de mal à mes sœurs.' Cela a duré jusqu'à mes 6 ans, date où ma mère, mes frères et sœurs et moi avons quitté le domicile pour maltraitance. C'est mon institutrice qui a compris que j'étais maltraitée et que les explications que je donnais pour justifier tous mes hématomes étaient fausses, je me souviens très bien de cette femme en qui j'ai eu confiance, qui m'a aidée, mais je ne lui ai pas parlé des attouchements. C'est elle qui a fait un signalement pour violences au directeur, puis après au médecin. Mes grands-parents sont venus nous chercher en pleine nuit car mon père travaillait de nuit, j'avais 6 ans. Nous n'avons plus jamais revu notre père. La famille s'est mobilisée pour nous tirer de là. Le divorce a été enclenché pour maltraitance. Ma mère a dû travailler, elle n'avait pas de formation professionnelle, elle travaillait 7 jours sur 7 pour nous élever toute seule, et elle s'appuyait sur moi.

Toute petite, dès le CP j'ai compris que je devais compter seulement sur moi, que je devais travailler beaucoup si je voulais m'en sortir, j'ai voulu apprendre à lire et à écrire rapidement comme une urgence, j'étais toujours en tête de classe. J'ai été la seule de la famille à faire des études. Petite, j'ai dû gérer mes frères et sœurs, j'ai dû faire les rentrées d'école de mes frères et sœurs et j'arrivais moi-même en retard. Quand j'ai eu 18 ans j'ai passé mes concours pour être éducatrice, j'ai été reçue et ne suis pas revenue à la maison, ma petite sœur qui avait 12 ans n'a plus rien fait à l'école, elle s'est sentie abandonnée.

J'ai été très souvent malade dans mon enfance, j'étais très chétive. J'ai eu des douleurs de ventre qui persistent toujours, pour lesquelles j'ai été emmenée de très nombreuses fois chez le médecin, et même hospitalisée à plusieurs reprises. Lors d'une de ces hospitalisations à 16 ans, j'ai été opérée de l'appendicite, ce qui n'a rien changé aux douleurs. En troisième j'ai manqué la valeur d'un trimestre à l'école à cause de ces douleurs. J'ai eu une constipation chronique qui a commencé toute petite, ma mère en parle souvent, et cela me poursuit d'ailleurs. Pendant une dizaine d'années j'ai vu le médecin au moins une fois par mois, et le médecin n'a rien compris. Il disait qu'il ne comprenait pas, mais il n'a jamais posé la question d'un abus. A l'adolescence j'ai pensé à mourir, j'imaginais des scénarii pour me suicider, j'avais des hallucinations, j'ai commencé à faire des cystites fréquentes, puis elles ont continué ensuite, souvent post-coïtales. Elles ont diminué après mon mariage, j'étais très amoureuse de mon mari, j'avais confiance en lui, il était la sécurité, il avait 6 ans de plus que moi, elles ont pratiquement disparu après la naissance de ma fille. Nous avons décidé d'avoir un bébé après notre mariage. Il n'y a pas eu de contraception entre mes 22 et 28 ans et seulement 2 bébés. En fait, je n'étais pas du tout pressée de fonder une famille, il y avait un décalage entre le désir de mon mari et mon peu d'empressement à être enceinte. J'avais tellement peur de reproduire ce qui s'était passé pour moi dans mon enfance malgré ma confiance en mon mari ! En ce qui concerne les 2 fausses couches et les difficultés d'obtenir les grossesses, je pense qu'il y avait une angoisse terrible à devenir mère, à reproduire cette ritournelle de la famille. Pour la seconde grossesse je pense qu'il y a eu un autre facteur : je vivais seule avec ma fille, mon mari ne rentrait que le week-end. Cela ne me convenait pas de vivre séparée de lui, c'était trop difficile pour moi en terme de sensation de sécurité. Nous avons donc décidé de vendre notre maison, j'ai démissionné, et nous avons de nouveau pu vivre ensemble. J'ai été enceinte tout de suite, alors que la grossesse était désirée sans succès depuis 4 ans. Quand ma fille est née la première chose que je me suis dite était que je ne voudrais jamais que mon père voie sa petite-fille. Je pense que j'aurais pu ne jamais avoir d'enfants si je ne m'étais pas reconstruite psychologiquement.

Puis il y a eu cette hyperthyroïdie à 31 ans, j'étais en fin de congé parental, ce congé était merveilleux pour moi, c'était très important de m'occuper de mes enfants dans leur petite enfance. J'adorais jouer avec eux, moi je n'avais jamais joué dans mon enfance, je n'ai pas eu d'enfance, ma mère n'avait pas eu le temps de s'occuper de moi. Recommencer à travailler ne me convenait pas, j'étais déchirée entre ma vie de mère qui me tenait tellement à cœur puisque mes parents avaient failli, et ma vie professionnelle que j'avais envie de réussir car elle m'apportait une indépendance à laquelle je tenais beaucoup. J'ai recommencé à travailler et mon petit garçon a été mis à la cantine, il s'est mis à vomir, car il était habitué à ne manger que des produits frais préparés par sa maman, cette période a été difficile. C'est à ce moment que j'ai déclaré cette maladie de Basedow. Puis mes enfants ont grandi, je me suis épanouie dans mon travail, et mon hyperthyroïdie a disparu. Je n'avais pas fait le rapprochement entre ces dates, mais oui, bien sûr, mon hyperthyroïdie c'est exactement à ce moment de déchirement pour moi, de la culpabilité de laisser mon enfant.

Quand j'ai eu 34 ans, mon père est mort. Cette mort a été une délivrance, on a fêté cela, j'ai sablé le champagne, la vie nous rendait enfin justice. Quand il était mourant il a souhaité avoir ses enfants autour de lui. Etant donné que nous ne le voyions plus, c'est la police qui nous a prévenus. Quand j'ai su qu'il était malade j'étais contente, je me suis dit qu'il y avait une justice, qu'il était puni de tout le mal qu'il nous avait fait et que c'était bien. Sur 5 enfants, 3 ont décidé d'y aller, ils sont arrivés trop tard, il était mort. Moi je me suis dit que je ne lui donnerais pas cette joie après ce qu'il avait fait, c'était sa pénitence, c'était ma revanche. Nous avons hérité chacun d'une somme d'argent que j'ai refusée, il était sale cet argent et je l'ai donné pour l'enfance maltraitée. J'ai recommencé à faire des cauchemars ; je revoyais les ivresses de mon père, la chambre, ma chemise de nuit, les photos de mon père que j'avais découpées en lui sectionnant les bras, les jambes pour qu'il ne puisse plus me faire de mal. J'ai fait une dépression qui a entraîné un arrêt de travail de 7 mois.

J'ai fait un travail sur moi qui m'a beaucoup aidée. J'ai pu en parler quand j'ai eu 20 ans et que je suis allée voir un psychologue. Cette personne m'a permis de déverrouiller ces choses, j'ai pu me libérer, raconter en détail, ce qui a été déterminant dans ma guérison. A 34 ans j'ai vu un psychiatre qui m'a aidée à me poser les bonnes questions. Lui, il a mis les mots sur ce qui m'était arrivé : pédophile, inceste, victime, ces mots m'ont un peu effrayée au départ, je n'avais pas fait le lien par les mots, mais cela a été une étape importante. Même si je vais mieux, quand il y a des grandes émotions dans la vie j'ai mal partout, mon corps parle beaucoup car mon cerveau a mis sous silence certaines choses, ce qui est impératif avec de telles souffrances, sinon on devient fou. Ces abus ont un impact énorme sur la santé, sur la vie de mère, sur la sexualité, j'ai eu une sexualité très pauvre avec mon mari. J'ai compris avec la thérapie que je pouvais recevoir de l'amour, ce qui n'est pas facile quand on reçoit tellement de violence. Pour s'en sortir il faut une volonté, une force, une foi dans la vie. Quand ma fille est née, j'ai eu besoin de lui dire dès le premier jour : 'Tu seras une femme forte, une femme de tête, tu ne seras jamais sous l'emprise d'un homme, tu vas te battre, tu réussiras tes études, je serai toujours là pour toi.' Il fallait que je lui dise. Et ma fille est une femme de tête, elle vient de réussir Sciences Po sans faire de prépa. A mon fils je lui ai dit : 'Tu seras un homme doux, tendre, attentif, à l'écoute des autres.' »

Sa réflexion

« J'ai longtemps été très en colère de ne pas avoir été reconnue comme victime. Je voulais porter plainte, mais il y a 40 ans on n'entendait pas les enfants. J'aurais eu la force de porter plainte, j'avais une telle haine contre lui que j'aurais pu, j'avais des envies de castration de mon père, j'en rêvais. Je ne rêve plus de cela car la vie a rendu justice, il est mort.

J'en parle maintenant comme si cette petite fille abusée était une petite fille qui est à côté de moi. Quand on est enfant on se demande si on est vraiment dans la réalité, si on n'est pas fou, si j'avais écouté ma tête, je serais devenue folle. Aujourd'hui je peux parler de cette petite fille qui fait partie de moi, mais j'ai encore besoin de la reconnaissance de ma mère car elle était l'adulte qui aurait dû me protéger. Je voudrais que ma maman mette des mots, j'ai besoin qu'elle m'explique et cela elle ne le peut pas encore. J'ai eu beaucoup de rancœur à l'adolescence contre ma mère parce que ma mère savait pour les attouchements, mais mon père la terrorisait, il l'enfermait pendant les attouchements, je lui en ai voulu de ne pas avoir su me défendre, je n'ai jamais eu le sentiment d'avoir été la fille de ma mère, plutôt sa sœur. Mais ma mère était sous l'emprise d'un homme très violent, elle était complètement terrorisée. J'ai compris qu'elle n'avait pas pu faire autrement, qu'elle était incapable de réagir, maintenant, je ne lui en veux plus. Je veux arrêter cette lignée de femmes violentées, ma grand-mère m'a raconté sa difficulté avec les hommes, difficulté sexuelle, difficulté pour avoir des enfants, elle avait un père très, très dur, qui lui faisait subir des sévices corporels. Quand il a été malade, elle a trouvé très injuste de devoir s'occuper de lui. Je me suis demandé si elle n'avait pas subi le même sort que moi avec son père. »

Tous les noms propres ont été anonymisés.